Idée

Rénovation du bâti : faire du neuf avec du mieux

Il est toujours plus durable de reconvertir que de démolir. En architecture, l'approche tectonique permet une réhabilitation des bâtiments qui respecte leur structure initiale tout en tenant compte des besoins des occupants et en améliorant leur performance énergétique.
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Natalie Mossin
Directrice de l'Institut d’architecture et de technologie de l’Académie royale des beaux-arts du Danemark, elle a présidé en 2023 le Congrès mondial des architectes de l'UIA. Elle a notamment publié un Guide d’architecture pour les 17 Objectifs de développement durable des Nations Unies.

Henriette Ejstrup
Professeure adjointe à l'Institut d'architecture et de technologie de l’Académie royale des beaux-arts du Danemark. Architecte de formation, spécialisée dans la restauration et la conservation, elle est titulaire d’un doctorat du Centre d’architecture industrialisée de l’ARD.

Dans la périphérie d’Aarhus, une ville portuaire sur la côte est de la péninsule danoise, se dresse une petite maison individuelle datant des années 1960. Ses caractéristiques architecturales ‒ murs de briques jaunes, larges baies vitrées et toiture à deux pans avec avant-toit ‒ relèvent de la tradition locale. Il s'agit d'un des premiers logements préfabriqués produits à grande échelle au Danemark pour la classe moyenne montante, cette génération d'après-guerre qui aspirait à faire construire sa maison en banlieue. Considérées comme ordinaires, ces habitations n’ont pas fait l'objet d’une protection patrimoniale.

La nouvelle génération de propriétaires entreprend aujourd’hui des rénovations qui ont souvent pour effet de gommer leurs éléments d’origine. Les nouveaux acquéreurs de la maison d’Aarhus voulaient rendre leur maison moins gourmande en énergie. À rebours de la tendance actuelle à l’agrandissement des maisons familiales, l’agence danoise CJ Arkitekter a suggéré de supprimer une extension récente de 18 m2 et de restaurer le plan et les façades d'origine. Le bâtiment a été isolé, des fenêtres thermiquement plus performantes ont été posées et les détails d'origine préservés ou reconvertis. Cette restauration de l’architecture originelle par soustraction plutôt que par addition a permis d’obtenir une maison présentant un meilleur climat intérieur et une consommation d’énergie réduite.

Dans l’approche tectonique, l’identité du lieu est aussi essentielle que les matériaux et les méthodes de construction

Cet exemple offre une bonne illustration de la théorie de l’architecture tectonique appliquée à la rénovation. L’approche tectonique part de la conception structurelle d’un bâtiment mais en prenant en compte ses dimensions matérielle et immatérielle. Dans cette optique, l'architecture et l'histoire d'une construction sont perçues comme une contribution importante à la société, à la mémoire collective et à la vie quotidienne. Analyser et comprendre les intentions initiales d'un bâtiment permet aux architectes de le transformer en respectant ses principes de départ et d’éclairer ses différentes strates de signification culturelle.

Changer d'approche

Le Congrès mondial des architectes de l'UIA, qui s’est tenu en juillet 2023 dans la capitale danoise, s’est conclu sur des « Leçons de Copenhague », dix principes pour que l'environnement bâti atteigne les Objectifs de développement durable des Nations Unies. Selon le troisième de ces objectifs, « les structures construites existantes doivent toujours être réutilisées en premier ». Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) plaide lui aussi en faveur d’une réhabilitation du bâti existant.

La réutilisation adaptative, la rénovation et la reconstruction ouvrent de nombreuses alternatives à la démolition des bâtiments qui ne répondent plus aux besoins actuels. Après des décennies marquées par l'accélération des démolitions et des constructions, l'émergence de nouvelles technologies et une prise de conscience mondiale de l’urgence environnementale, les partisans d'une pratique patrimoniale ne manquent pas d’arguments.

Stratégie coûteuse

Au cours des vingt dernières années, environ 150 000 logements ont été démolis en France. Dans bien des cas, il s’agissait de remplacer des projets modernistes vétustes par des propositions contemporaines. Cette stratégie coûteuse a en outre un impact environnemental considérable. Améliorer l'architecture préexistante permet de réduire les coûts, qu’ils soient environnementaux ou économiques. La cité du Grand Parc à Bordeaux, en France, est un exemple de réutilisation adaptative. Elle a été menée à partir de l'analyse de la structure existante, de ses problèmes, de ses intentions initiales et en tenant compte des besoins de ses habitants.

Améliorer l'architecture préexistante permet de réduire les coûts, qu’ils soient environnementaux ou économiques

Le Grand Parc est un grand ensemble d'habitations caractéristique de l’architecture du XXe siècle, une de ces barres de béton reproduites à grande échelle, devenues un symbole décrié de défis sociaux. À l’origine, ces immeubles modernistes visaient à remédier à la crise du logement de l’après-guerre. Mais les techniques de construction employées ont eu des conséquences négatives sur le climat intérieur et la viabilité du bâti qui se sont traduites par une stigmatisation sociale dans bon nombre de ces zones d'habitation.

La stratégie élaborée par les cabinets d’architecture qui ont travaillé sur ce projet est partie d'un respect pour l'attachement de ses habitants à un immeuble autrement dénué d'intérêt. De longs balcons équipés de portes coulissantes et de rideaux réfléchissants et isolants, baptisés « jardins d'hiver », ont été greffés sur la façade sud des immeubles, agrandissant ainsi l'espace salon des appartements. La façade nord a été isolée pour améliorer la performance énergétique de la structure existante.

La réutilisation adaptative s’est donc appuyée sur l'analyse de la structure existante, des problèmes qu'elle posait et de ses intentions d'origine. La volonté de ses habitants a également été prise en compte. Dans ce cas précis, la démarche a consisté à travailler sur les points forts de la structure tout en améliorant la performance et la valeur immobilière du bâtiment.

Reconstruire l'histoire

Autre exemple : à Berlin, la Kapelle der Versöhnung, édifiée en 2000, fait partie d'un plus vaste ensemble commémoratif situé dans la capitale allemande. Elle retrace l'histoire d'une église du XIXe siècle qui s’est trouvée dans la zone frontalière séparant l'est et l'ouest après la construction du Mur. Laissée à l’abandon, elle fut démolie en 1985. À la chute du mur, il ne restait que quelques ruines.

Dans les années 1990, les Berlinois, dans leur désir d’unité, étaient impatients de voir disparaître les traces de partition de la ville. La paroisse décida pourtant de réutiliser ces vestiges. Une chapelle de pisé a été reconstruite sur le site. Les gravats de brique rouge de l'ancienne église ont été utilisés comme agrégat pour la construction en terre. La paroisse a ainsi délibérément utilisé la tectonique du nouveau bâtiment pour se réapproprier l'histoire du site.

Ces exemples de réhabilitation ont en commun une évaluation initiale fondée sur leur tectonique, liant la conception, les matériaux, les méthodes de construction et la logique structurelle au sentiment d'appartenance et d'identité du lieu. Cette approche, plus durable, permet aux architectes d'accroître la valeur matérielle et immatérielle des bâtiments et des communautés où ils se trouvent.

Un édifice peut être reconstruit dans le respect de ses principes d'origine et de ses différentes couches de signification culturelle. Cette démarche a l’avantage de mettre en valeur la contribution essentielle de ces constructions à la société, à la mémoire collective et à la vie quotidienne.

Construire demain
UNESCO
janvier-mars 2024
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