La récolte 2024 est laborieuse, décevante, décourageante. Inquiétante même, tant elle interroge sur le sens de notre métier. Si même les agriculteurs remettent en question l’utilité de leur labeur, je pense, citoyen français, que vous devriez commencer à vous inquiéter. Dois-je en appeler à nos dirigeants ? Sur ce sujet sortons de l’hypocrisie et regardons les choses en face : la disparition du modèle agricole français, à savoir des fermes familiales (i.e. à taille humaine) semble programmée depuis belle lurette puisque la question de la rémunération des paysans ne soucie plus personne. Petite démonstration par les chiffres et par les faits.
Sur ma ferme la moyenne en blé tendre sera de 60qx cette année, contre un objectif attendu de 94qx (moyenne olympique sur les 5 dernières années), soit une baisse de rendement de 36%. J’ai calculé mon seuil de commercialisation pour cette récolte, c’est-à-dire le prix de vente de mon blé qui me permettrait de payer toutes les charges engagées pour produire, les annuités d’emprunts, les cotisations sociales et les impôts, et une rémunération DECENTE. Je suis bien évidemment dans les choux : plus de 330€/t alors que le blé vaut actuellement moins de 200€/t. Ce sont donc plusieurs dizaines de milliers d’euros que je vais perdre en ayant cultivé du blé sur la campagne 2023/2024.
A la récolte 2023 la situation était déjà morose puisque les prix n’étaient pas rémunérateurs (effet ciseaux suite à l’envolée des charges en 2022). Les agriculteurs avaient donc engagé la campagne actuelle avec des trésoreries affectées, espérant des jours meilleurs. Est-ce la seule chose qui nous reste aujourd’hui, l’espoir cynique d’un retournement de situation, à la faveur d'une nouvelle guerre ou d'une catastrophe climatique hors de nos contrées qui ferait remonter les cours mondiaux ? En est-on arrivé à un stade où il faut prier je ne sais quelle divinité pour nous sortir du merdier dans lequel nous sommes enlisés ?
Car le report des cotisations sociales et des annuités, les courts-termes de trésorerie, les prêts à taux 0 pour l’achat de matériel… ne sont que des artifices qui nous feront reculer pour mieux sauter dans le vide.
Les données comptables agricoles sont disponibles. Chaque année les centres de gestion publient les coûts de production et les seuils de commercialisation moyens par culture et par région. Toute la filière agricole connait ces chiffres, du ministère de l’Agriculture aux « partenaires » amont et aval. Certains font l’autruche, d’autres se gavent sur notre dos et volent la marge qui devrait revenir aux agriculteurs. Mais personne ne propose de véritables solutions. « Bah oui, on ne peut pas sortir du marché mondialisé. » Fin de la discussion.
Personnellement j’envisage de changer de métier. C’est un crève-cœur car je l’adore ce boulot, je suis fière de sa finalité, passionnée par mes engagements vers une autre voie agricole, l’ACS. Mais je ne veux et ne PEUX pas continuer à bosser pour la gloire.