Cela fait des années que l’on porte ce fardeau. Individuellement. Collectivement.
Depuis 2012, plus précisément.
Je me souviens que ce 13 mars, j’étais dans les arbres avec mon ami élagueur Adama quand j’ai reçu un coup de fil de mon binôme cordiste de toujours, Frédéric Soulier. Comme dab’, on se donne des nouvelles en tant que cordistes, salut Fred, ça va, ça se passe comment sur ton chantier ? Et là, au bout du fil, j’entends, non ça ne va pas du tout (en colère), il y a deux morts, je suis à l’hôpital. Gros coup de stress, gros coup de pression. Ni une ni deux, on prend la voiture direction l’hôpital de Reims où je retrouve mon frère de corde, Fred, en train d’errer dans les couloirs de l’hôpital, avec au pied encore ses bottes de sécurité en cuir brun encore pleines de sucre. Je le récupère. On parle. Les mots dans ces cas-là sont souvent de trop. Il n’y a rien à dire. Direction la gendarmerie. Tout le matériel, les cordes, les baudriers, les casques,…, a été saisi. Fred doit faire une déposition. Impossible de partir avant. Il fait nuit. L’ambiance est spectrale. Je rencontre le directeur de l’agence d’intérim, Matthieu, qui l’a embauché pour cette mission, convoqué lui aussi. C’est un très mauvais endroit pour une rencontre. Le désarroi est partagé.
Depuis, du sucre a glissé dans les silos.
Pour autant, les cordistes interviennent encore dans ce type d’environnements sans formations spécifiques. Personne n’a conscience que c’est, en plus d’un non-respect du cadre réglementaire généralisé, une hérésie et une mise en danger d’autrui à grande échelle.
En effet, comment un débutant, dans un environnement aussi surdimensionné, on parle d’un accumulateur de matière, une cellule de 50 mètres de haut – on pourrait presqu’y ranger la Tour de Crest -, peut-il comprendre et imaginer les conséquences de la moindre erreur, de la moindre défaillance. Des cordistes, une erreur humaine et une trappe qui s’ouvre. Et c’est la mort assurée. Sans supervision et sans le recul d’un opérateur suffisamment expérimenté, au fait des procédures de sécurité, des mesures de prévention et des moyens de protection, un débutant n’y verra que du feu. Il n’est pas encore préparé à ça.
Il y a l’avant. Il y a le pendant. Et surtout l’après qui est là pesant. Avec la justice qui se laisse désirer depuis 12 longues années. Le poids de ces années, ceux qui restent en parlent bien. Les survivants, les amis et amies des victimes, la famille.
Frédéric nous raconte le pendant et l’après dans cet excellent article qui vient de paraître sur le site de France Info. Un texte que tout cordiste débutant devrait lire. Force à toi et Respect, mon frère de corde pour tout le chemin parcouru.