Le site de l’Association des Traducteurs/Adaptateurs de l'Audiovisuel permet de se faire une idée de l’ampleur du cancer de la traduction-relais dans le paysage audiovisuel.
Le « Big d’ATAA », c’est le répertoire des œuvres traduites par les adhérents de l’association. Une fenêtre de recherche vous permet de retrouver un titre parmi près de 8 500 films, documentaires, séries et jeux vidéo répertoriés. Mais elle autorise aussi la recherche par langue.
Ainsi, si vous tapez « hindi », vous découvrirez 17 œuvres, dont 15 ont été sous-titrées ou doublées par des personnes dont rien n’indique qu’elles connaissent un traître mot de la langue de Premchand. Les deux autres sont 𝘜𝘨𝘭𝘺, qui m’a valu le prix de l’Ataa en 2015, et 𝘔𝘢𝘴𝘢𝘢𝘯, que Stéphane Lévine a adapté en doublage à quatre mains avec moi.
Tapez « coréen » et vous ne serez pas déçu·e non plus. Parmi les 60 œuvres qui s’affichent (je mets volontairement de côté 𝘖𝘶𝘵𝘳𝘢𝘨𝘦 𝘊𝘰𝘥𝘢 du japonais Takeshi Kitano), 𝘶𝘯𝘦 𝘴𝘦𝘶𝘭𝘦 a été traduite par des membres de l’Ataa travaillant à partir de la langue de Sejong : Jean-Baptiste et Sun METTAUER. Une traductrice s’honore en mentionnant avoir consulté une consœur coréenne. Les autres sont passés par l’anglais et ont ainsi « adapté » des dialogues qu’ils ne comprenaient pas.
Les chiffres donnent le tournis : plus de 98 % des œuvres coréennes répertoriées auraient été traitées de façon contraire à toute éthique professionnelle et 6,5 % des membres de l’Ataa – un sur quinze – auraient violé le tout premier article de son Code de déontologie : « 𝘓𝘦 𝘵𝘳𝘢𝘥𝘶𝘤𝘵𝘦𝘶𝘳 𝘰𝘶 𝘭𝘢 𝘵𝘳𝘢𝘥𝘶𝘤𝘵𝘳𝘪𝘤𝘦 𝘱𝘰𝘴𝘴𝘦̀𝘥𝘦 𝘶𝘯𝘦 𝘤𝘰𝘯𝘯𝘢𝘪𝘴𝘴𝘢𝘯𝘤𝘦 𝘢𝘱𝘱𝘳𝘰𝘧𝘰𝘯𝘥𝘪𝘦 𝘥𝘦 𝘭𝘢 𝘭𝘢𝘯𝘨𝘶𝘦 𝘢̀ 𝘱𝘢𝘳𝘵𝘪𝘳 𝘥𝘦 𝘭𝘢𝘲𝘶𝘦𝘭𝘭𝘦 𝘪𝘭 𝘰𝘶 𝘦𝘭𝘭𝘦 𝘵𝘳𝘢𝘥𝘶𝘪𝘵 […]. »
Le résultat ? Des œuvres forcément esquintées, un public roulé dans la 𝘣𝘦𝘬𝘴𝘶𝘭, des traducteurs non coréanophones dépossédés de leurs moyens, de la dignité de leur travail et de tout pouvoir de négociation avec leur client et des spécialistes coréanophones laissés sur le carreau.
Car les traducteurs du coréen existent ! Outre les deux adhérents de l’Ataa déjà cités, le site de l’ATLF - Association des Traducteurs Littéraires de France en recense sept (Marion Gilbert, Sarah Ozkalp, Lya Mayahi, Yeong-hee LIM, Irène Thirouin-Jung, Patrick Maurus et HYONHEE LEE) et celui de la SFT - Société française des traducteurs, deux : Claire BAE (배윤경) et Chloé Gautier.
Rien donc ne saurait justifier le recours à la traduction-relais pour le coréen en France, où cette langue est enseignée depuis 1956. J’ai moi-même initié plusieurs étudiantes de coréen de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) aux techniques du sous-titrage.
L’irruption de l’IA fait planer une menace de mort sur la traduction audiovisuelle. Mais certaines combinaisons linguistiques sont déjà moribondes du fait de la traduction-relais. Cela doit cesser.
https://www.ataa.fr/base
JRI chez Stade Français Paris
2 moisMaël Narpon