Coucher de soleil
Le coucher de soleil est un coucher de Roi. Il a ses points de vue, les mieux placés qui soient, ses rituels et ses courtisans qui ne manqueraient ce spectacle pour rien au monde. Il y a des gens qui ne viennent sur le bord du Bassin que pour le voir s’enfoncer dans l’Océan, lentement comme un au-revoir de voyageurs qui partent quand le bateau lâche ses amarres et glisse sur l’eau du port. Il disparaît à l’horizon derrière le phare, ou la dune, dans un silence religieux. D’autant qu’il change de couleurs tous les soirs et que personne n’y voit les mêmes deux jours de suite. Jean Hugo l’a saisi rose comme dans une perle, Mauriac aime les broderies d’argent qu’il met au noir de l’Océan qui les partage avec les dunes. Régine Rosenthal préfère ses tenues orangées, jaunes ou rouge vif. Les plus imaginatifs (ou les mieux informés) parlent du rayon vert.
Tout cela est vrai parce que le soleil change d’habit tous les soirs. Tout dépend de l’humidité, du calme et de la densité de l’air, de la consistance des nuages, du vent qui les pousse, de la terre qui tourne... Et les amateurs, qui tremblent chaque soir de manquer ce qu’ils nomment «le plus beau de tous les couchers du monde» le mitraillent pour en fixer le souvenir comme ils le font de tous les évènements solennels qui s’accumulent, tout poussiéreux, au fond des albums de famille. Comme si le soleil avait besoin de la poussière des albums. Comme s’il allait disparaître pour toujours. Nous savons, depuis l’école, qu’il revient du côté opposé tous les matins quand il s’éveille.