Interview - Obligations : le charme des entreprises BB
Delphine Laloum, High Yield Portfolio Manager, Ellipsis AM

Interview - Obligations : le charme des entreprises BB

Les entreprises ayant une note BB sont moins sensibles à la hausse des taux que l’Investment Grade et offrent un rendement attractif.

Ces dernières années, les investisseurs ont souvent surpondéré les obligations Investment Grade (IG). Pourtant, ces titres ont perdu 16% l’an dernier et être désinvesti du HY représente un coût d’opportunité. «Le segment BB au sein du High Yield (HY) nous semble plus intéressant», estime dans une note Delphine Laloum, gérante High Yield auprès d’Ellipsis AM depuis septembre 2022. Au 18 octobre, le HY BB enregistre une performance de 4,75%, contre 2% pour l’IG depuis le début de l’année. En fait, «les avantages du HY BB sont nombreux, à son avis, à commencer par un coût d’opportunité en termes de portage majeur, comme l’illustre l’écart de performance de 30% sur 10 ans et une moindre sensibilité aux taux».

Vous privilégiez les obligations High Yield aux titres Investment Grade. En cas de tension due à la Fed ou à une crise géopolitique, ne sous-estimez-vous pas le risque du HY?

Selon les segments de notation au sein du High Yield, l’histoire peut être très différente. Nous regardons surtout le segment BB car nous considérons que son couple risque / rendement est très intéressant. Les notations BB sont certes plus volatiles que l’IG mais le portage compense en grande partie cet écart de volatilité. Nous y reviendrons, mais il est également possible aujourd’hui de se couvrir contre cette volatilité sans trop concéder de performance.

De quels émetteurs parlons-nous exactement?

Parmi les noms d’émetteurs HY BB récents, Telecom Italia, le fabricant d’emballages Crown, le groupe de construction Loxam, l’entreprise métallurgique Eramet ou encore le groupe de cosmétiques Coty.

Ces émetteurs ont une liquidité abondante à leur bilan et ils ne sont pas dans une situation d’urgence pour émettre. Le marché est friand de BB car le segment primaire est asséché. Les entreprises BB se financent facilement et les coupons offerts sont souvent revus à la baisse du fait de cette forte demande.

Quel est le risque de défaut HY BB aujourd’hui?

Lorsque l’on parle de taux de défaut sur le marché du HY, on fait souvent référence au taux de défaut global de la classe d’actifs, autrement dit un taux de défaut qui agrège les signatures BB, B, et CCC. Or le risque de défaut croît exponentiellement avec une diminution de la notation. Les défauts concernent pourtant quasi exclusivement des signatures B- et CCC.

Depuis le début de l’année, le marché HY primaire est atone. Le marché est fermé aux émetteurs CCC. Cela signifie que le taux de défaut du HY va probablement augmenter, car les taux d’intérêt resteront élevés donc très coûteux, parfois 15 à 20% pour certains émetteurs. Même si l’inflation devait se calmer, ce coût ne devrait pas diminuer sensiblement.

La situation est très différente pour les émetteurs BB, car historiquement, le taux de défaut est très similaire à l’IG, et inférieur à 1% depuis 1994, y compris lors des crises extrêmes telles que celle de 2008. Si l’on prend en compte le taux de recouvrement, proche de 40%, le taux de perte est de 0,33%.

«Le marché est friand de BB car le segment primaire est asséché.»

Qu’en est-il des fondamentaux?

Le risque de défaut des émissions BB est proche de celui de l’IG parce que les fondamentaux sont très solides, par exemple un faible levier d’endettement. Ces groupes ont une taille importante, sont parfois cotés, génèrent un free cash-flow régulier positif et ne sont pas en flux tendu. Ils disposent aussi d’alternatives au marché des capitaux tels que les financements bancaires, les obligations convertibles ou des augmentations de capital.

Est-ce que le segment en dollars se distingue de celui en euros?

Les structures sont très différentes. Le marché européen est composé à 70% de BB, à seulement 5% de CCC et à 25% de B. Aux Etats-Unis, le segment CCC représente un taux considérable (plus de 10%), ce qui accroît le risque de défaut, et le BB est inférieur à 50%.

Les biais sectoriels sont également très différents. Les Etats-Unis accordent un fort accent aux médias, aux matériaux de base et à l’énergie. En Europe, le marché surpondère les télécoms et l’automobile, mais ce dernier tient bien en raison du carnet de commandes bien rempli du fait des contraintes de production de la période covid.

L’écart de taux dépasse 200 points de base entre le HY et l’IG. Quel est votre scénario sur son évolution future?

Au début de l’année, le marché craignait un atterrissage en catastrophe, si bien que les primes de risque étaient significatives.

Or nous avons assisté à un resserrement de 50 pb des primes de risque, puis l’écartement récent a ramené le marché au niveau du début d’année.

La prime atteignait 500 pb en début d’année et 471 pb au 18 octobre 2023. La performance du HY depuis le début de l’année est donc uniquement liée au portage.

Sur le BB, la prime s’élevait à 372 pb en janvier et se trouve actuellement autour de 357 pb. Le constat est identique. La prime de risque est quasi inchangée en 2023.

Les résultats des entreprises restent satisfaisants, l’activité économique ralentit assez peu et reste résiliente. Notre scénario central est celui de l’atterrissage en douceur. Sauf en cas d’événement géopolitique majeur, nous devrions assister à un resserrement des spreads sur les niveaux de septembre 2021.

A part l’atterrissage en douceur, avez-vous un autre scénario?

Nous pourrions assister en 2024 à une répétition du scénario de 2023, c’est-à-dire assister à un marché qui évolue au gré des statistiques macroéconomiques, des spreads inchangés ou en légère hausse, mais un écart de portage attractif.

La troisième possibilité consiste à imaginer une forte récession économique.

«Sauf en cas d’événement géopolitique majeur, nous devrions assister à un resserrement des spreads sur les niveaux de septembre 2021.»

Comment réagirait le HY BB lors d’une chute du marché?

Dans un scénario extrême, celui de risque géopolitique majeur et/ou d’une forte récession, les spreads sur les BB pourraient s’écarter de l’ordre de 200 pb, soit un retour vers les niveaux d’octobre 2022. Dans un tel scénario, il est également probable que les taux sans risque baissent de l’ordre de 100 pb.

Un tel écartement des spreads entraînerait une performance négative de -8%, compensée par une performance positive de 3% liée à une détente des taux sans risque.

Etant donné que le segment BB offre un rendement de 6,8%, la performance globale devrait rester légèrement positive aux alentours de 2%

Comment couvrir ce risque de volatilité?

Le meilleur actif permettant de couvrir la volatilité est l’indice Euro Stoxx parce que la corrélation est de 72% avec cet indice. La volatilité étant basse, l’achat d’options de vente sur l’Euro Stoxx est historiquement bon marché. Cela signifie que l’achat d’une protection contre un risque de baisse de 20% coûte 45 pb. Ce taux est à comparer au rendement de 6,8% sur un portefeuille HY BB.

A horizon 12 mois, si un scénario extrême ne se matérialise pas, l’investisseur en HY BB reçoit donc 6.35% au lieu de 6.8%. En revanche, si le risque se matérialise, la couverture devrait générer une performance positive de l’ordre de 5%. L’investisseur peut donc amortir très sérieusement la baisse, mieux qu’avec l’IG. Et en monétisant la protection, il récupère des liquidités pour réinvestir à des points bas du marché.

Dans un scénario constructif d’atterrissage en douceur, faisant l’hypothèse d’un resserrement des spreads de 100 pb, un portefeuille BB couvert pourrait enregistrer une performance supérieure à 10%.

Nous pensons donc qu’il existe une prime de risque très intéressante sur le BB. La prime de risque actuelle traduit un taux de défaut implicite sur le BB de 4,7% par an sur les cinq prochaines années. Or depuis 1994, et même en 2008, ce taux de défaut a toujours été inférieur à 1%.

Quelle est l’évolution des flux de fonds en ce moment?

La décollecte atteint 500 millions d’euros sur le HY européen depuis le début 2023.  Il existe une dichotomie majeure: les fonds ouverts ont enregistré une décollecte de 1.7 milliard alors que les ETFs et fonds de courte duration ont vu leurs actifs augmenter de 1.2 milliard d’euros.

Pourquoi?

Avec les taux 0, l’alpha perdait un peu son sens. Compte tenu des frais modestes des ETF, l’investisseur privilégie la gestion passive. De plus, les fonds à courte duration le rassurent, même si leur risque n’est pas nul puisqu’ils intègrent des durations perpétuelles couplées à un call court.

N’oublions pas non plus qu’en cas d’un gros stress de marché, les taux pourraient chuter et le compte à terme tomber par exemple à 2%. Mieux vaudrait alors le BB avec un rendement de quasiment 8% à 5 ans.

Est-ce que les fonds obligataires actifs ont superformé la gestion passive durant la forte et rapide hausse des taux?

Non et c’est cohérent. C’est dans un marché en distorsion que l’on peut faire de l’alpha, mais pas dans un marché à taux 0 qui ne rémunérait pas le risque.

Qu’adviendrait-il du HY BB si le pétrole poursuivait sa hausse?

Cela signifie que les taux remonteraient, ce qui pénaliserait vivement l’IG. L’investisseur ne devrait acheter l’IG que s’il est convaincu que les taux d’intérêt s’effondreraient ces 12 prochains mois parce que la duration sur l’IG est plus élevée.

Je rappelle qu’en 2022 le Bund a perdu 22%, l’IG 16% et le HY 9,5%. Le HY est moins sensible à la hausse des taux que les signatures les plus sûres.

Quelle est votre opinion personnelle sur le rendement des bons du Trésor à 10 ans?

Notre scénario principal est celui de taux stables à 12 mois, avec des taux plus élevés plus longtemps.

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