La France et l’Europe dans le piège américain
« Le piège américain » de Frédéric Pierucci est un livre important à lire car il nous dévoile la férocité d’une guerre économique que nous livrent les Etats-Unis. Un livre que tous les cadres dirigeants d’entreprise internationale devraient lire car nul n’est censé ignorer la loi… états-unienne. Un livre qui démontrera aux responsables politiques l’urgence de réactions française et européenne.
L’histoire d’un drame humain
C’est d’abord l’histoire de Frédéric Pierucci, un cadre dirigeant : il refuse de servir de taupe au FBI qui l’envoie en prison pour faire pression sur Alstom. Un lampiste que la justice états-unienne menace de 125 ans de prison. Abandonné par les dirigeants d’Alstom qui n’ont pas activé l’assurance juridique et pressé par le procureur, il ne lui reste que le choix de plaider coupable ; une pratique courante aux USA.
C’est surtout l’histoire d’un homme qui voit son destin brisé et passe plus de 2 ans en prison dans des conditions abominables. Un homme d’honneur, libéré sous caution après 14 mois, qui retourne aux USA purger la fin de sa peine après le jugement définitif. En effet deux amis américains avaient mis leur maison dans sa caution de libération.
L’histoire d’Alstom
C’est aussi l’histoire de la vente d’Alstom. Comment ne pas voir que General Electric a profité de la pression judiciaire pour acquérir ce fleuron français ? General Electric est-elle exempte de corruption ? En tout cas elle semblerait en être à sa cinquième acquisition d’entreprise avec l’« aide » de la justice états-unienne… Comment ne pas s’interroger sur la pression qui pesait sur Patrick Kron, le PDG d’Alstom ? Comment ne pas être intrigué par la coïncidence de dates entre les actions de la justice états-unienne et les étapes de la cession ? Comment ne pas être effaré par les moyens en lobbying dépensés avec succès par lees dirigeants d'Alstom et de General Electric afin de faire passer cette cession pour un partenariat profitable ?
Car 3 ans plus tard l’heure est au bilan : après la vente de la branche énergie d’Alstom, la filière énergétique française, le nucléaire en particulier, est devenue dépendante de General Electric. On annonce des licenciements. Et le reste d’Alstom, la branche transport n’a eu d’autre choix que de se rapprocher de Siemens pour survivre. Quel gâchis alors qu’à l’époque Siemens proposait de céder à Alstom sa branche énergie en échange de la branche transport ! Le livre nous montre comment cette voie européenne, pourtant préférable, n’a pas été choisie.
La guerre économique qui oppose les Etats-Unis à l’Europe
Mais s’il faut retenir une chose, c’est que les Etats-Unis mènent contre l’Europe une guerre économique sans état d’âme. Les Etats-Unis se servent de la lutte contre la corruption, un objectif avec lequel on ne peut qu’être d’accord, comme d’une arme contre les entreprises européennes. Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) a été créé en 1977 mais jusqu’en 2001, il n’a pas sanctionné plus d’une entreprise par an.
Le FCPA s’active à partir des années 2000 mais il apparaît suivre une finalité précise : sur 26 entreprises condamnées à plus de 100 M$, aucune n’est chinoise, seules 5 sont états-uniennes et encore dans ces cas-là l’enquête avait commencé hors des Etats-Unis. On notera ainsi l’affaire concernant KBR, que le juge français transfère aux Etat-Unis. Ceux-ci épinglent dans le même temps le français Technips qui se voit condamné à payer 338 M$ au gouvernement… Etats-Unien ! L’Europe est clairement la première cible de cette guerre économique.
Comment les Etats-Unis nous vassalisent ?
Au-delà de l’émotion, il est essentiel de comprendre comment réagir. Les Etats-Unis s’appuient d’abord sur un rapport de force : pour commercer avec les Etats-Unis, il faut respecter leurs règles. Il suffit de réaliser une transaction en dollars pour qu’elle tombe sous la loi états-unienne qui fait ainsi respecter ses décisions d’embargo et le FCPA. On le sait moins mais avec le CLOUD Act, le seul fait d’utiliser une solution de messagerie électronique d’une entreprise états-unienne vous fait tomber sous le coup de leurs lois.
On découvre de plus en plus à quel point les pays européens ont perdu leur souveraineté face aux Etats-Unis. Il est grand temps que tous les décideurs se mobilisent pour sortir de cette situation. Merci à Frédéric Pierucci pour ce livre qui les aidera à prendre conscience du piège américain et surtout les conduira à agir.
Et maintenant ? Défendre l’Europe !
Il apparaît nécessaire de se doter des moyens de surveillance et des moyens juridiques comparables à ceux des Etats-Unis. La loi Sapin 2 est une première avancée dans ce sens mais elle est très insuffisante. Il apparaît aussi nécessaire que les initiatives soient prises aussi au niveau européen, seul moyen de peser et de rétablir l’équilibre. On se prend à rêver de transactions en euros qui nous ferait échapper au dollar.
Mais comment l’Europe pourrait surveiller les entreprises américaines comme la NSA surveille les entreprises du monde entier ? Cette question met en évidence l’importance particulière du secteur numérique qui n’est pas un secteur comme les autres car il impacte tous les secteurs. Répétons-le : le numérique « dévore » le monde. Ainsi, nous prenons actuellement conscience de cette réalité inquiétante : Facebook et les réseaux sociaux sont capables d’ébranler les démocraties mais nos Etats n’ont guère le poids pour leur imposer ne serait-ce qu’une juste fiscalité.
Face aux GAFAM, l’heure n’est plus à la fascination. L’Europe a le devoir de favoriser l’émergence d’acteurs européens dans le secteur numérique, mais pas avec une approche colbertiste en finançant la création de nouveaux acteurs. Cette erreur a suffisamment été commise. L’agent investi par l’Etat dans Clouwatt et Numergy a-t-il été utile ? C’est une chance que cela n’ait pas causé trop de tort à OVH devenu malgré tout notre champion français. Il est temps que les décideurs publics et privés achètent davantage européen. Il ne s’agit pas de protectionnisme mais d’un rééquilibrage désormais indispensable.
L’auteur de ce billet, Vincent BOUTHORS, est PDG de Jalios - Solution Intranet Social et Digital Workplace, et co-fondateur de l’association EFEL regroupant plus d’une centaine d’éditeurs de logiciels français.
director chez green network technology research
5 ansexellent article clair, précis et vrai
Responsable Système d'Information
5 ansBravo Vincent très bonne analyse
Machine Learning & DLT Blockchain Ethereum - LearningGeeksNetwork Founder - DAOUniversity
5 ansIt's too easy to accuse the US of European inaction. The trade war is global. Just observe the trade war between China and the US. It is mainly the fault of the European leaders if the EU does not have GAFAMIs.
Chef de projet technique (MOE), Data Scientist, Cloud , Web Sémantique, IA Générative, RAG framework
5 ansMerci pour ce post, pour compléter : https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-16-janvier-2019 interview de F.Pierucci
Avocat / Droit du travail / Pôle social / Conseil & contentieux
5 ansMerci pr l’éclairage!