Logement, énergie, rénovation : ce que révèle une étude sur les immeubles parisiens
Consommer moins et mieux, ce devrait être la devise de la transition énergétique. En matière de logement, personne n’est prêt à remettre en question son confort. Et s’il faut décarboner nos modes de vie, il faut aussi préserver les qualités de notre habitat. Cela se comprend. Mais confronté à un DPE ingrat, un propriétaire peut parfois avoir l’impression que tous les travaux d’amélioration énergétique n’ont pas l’efficacité qu’on leur prédit.
Qui n’a pas entendu parler de l’effet rebond, par exemple, qui réduit à moyen terme le bénéfice énergétique des rénovations ? ou encore de la piètre utilité de certains « gestes » d’isolation qui ne produisent pas les économies escomptées … Pas facile d’y voir clair pour qui n’est pas spécialiste. Et puis, il y a les critiques à l’égard du DPE dont certains se sont fait une spécialité.
La question peut se résumer ainsi : la rénovation énergétique est-elle réellement efficace en dehors de la performance théorique qu’on lui accorde, notamment au travers de ce fameux DPE ?
Dans le droit fil de cette question, on peut aussi s’interroger sur les performances attachées aux opérations d’une rénovation globale désormais désignée sous le terme de rénovation d’ampleur.
Isolation extérieure ou des combles, changement des fenêtres ou des systèmes de chauffage, quel sont les apports respectifs de toutes ces techniques dans l’amélioration énergétique d’un ensemble de logements collectifs par exemple ?
Ces questions ont été soulevées par l’atelier parisien d’urbanisme (APUR) dans une étude parue en mars 2024. Dans ce document, les consommations réelles d’un large panel de 76 000 logements sociaux parisiens sont mises sur la table. Périodes de construction, modes de chauffage, type d’énergie consommée, l’APUR passe au peigne fin ce qui fait le bilan énergétique d’un habitat collectif, …mais en partant du compteur. Car dans cette étude, c’est l’énergie finale qui constitue le « juge de paix », plutôt qu’une énergie primaire trop conceptuelle et incapable de dire quoique ce soit sur les usages et leurs éventuelles dérives. De même, les particularités des différents modes de chauffage sont prises en compte et révèlent aussi des mécanismes passés sous les radars.
Une approche moins théorique, donc, de la consommation des logements, mais dont la méthodologie est par ailleurs très rigoureuse, notamment en ce qui concerne l’impact énergétique des usages. Usages parmi lesquels on trouve la cuisson. Cette dernière, plutôt que d’être estimée classiquement en pourcentage de la consommation globale, sera évaluée de manière fixe à 25 kWh/m²/an pour tous les logements. On ne voit pas pourquoi, en effet, on devrait dimensionner cet usage en proportion d’une consommation d’énergie qui varie selon la surface des logements. On ne cuisine pas davantage dans un grand appartement que dans un petit…
Globalement, l’APUR indique qu’il existe bien des écarts entre les consommations réelles et théoriques. La modélisation qui produit ces dernières se base sur des « hypothèses souvent simplificatrices ; elles introduisent des biais qui peuvent s’avérer importants avec généralement une sur-estimation des niveaux de consommation, en particulier pour les logements en chauffage individuel » peut-on lire dans cette étude.
Le chauffage individuel aurait de lui-même une performance énergétique intéressante. Ce phénomène est bien connu des bailleurs sociaux. Preuve en est que ces derniers ont tenté de le généraliser pour responsabiliser les occupants par une facture d’énergie personnalisée incitant à la sobriété.
L’écart de consommation au bénéfice du chauffage individuel est loin d’être marginal. Il pourrait s’avérer déterminant pour une stratégie de décarbonation à grande échelle : 153 kWh/m²/an pour le chauffage collectif, 88 kWh pour l’individuel. Presque du simple au double, donc, indépendamment de l’énergie utilisée.
Mais lorsqu’il s’agit du gaz, cet écart se réduit. Si l’on compare les deux modes de chauffage, on constate que la consommation est élevée en individuel (129 kWh), même si elle reste très inférieure à celle d’un chauffage gaz collectif, champion toutes catégories de la consommation d’énergie rapportée au mètre carré (174 kWh).
Quant au chauffage urbain, nonobstant sa nature « circulaire », il est incontestablement énergivore (140 kWh) car forcément collectif…
Mais si l’individualisation est un levier de sobriété, il ne faudrait pas relativiser l’efficience intrinsèque du chauffage électrique. Moins inertiel, plus réactif, et surtout inévitablement individuel, ce dernier comporte l’avantage d’être piloté plus finement, en fonction du ressenti des occupants ou de leurs besoins réels. Le chauffage électrique semble être un modèle de vertu écologique ; on ne trouve pas plus économe : 65 kWh m²/an.
Reste à savoir si la rénovation peut conjurer les trop grandes consommations des chaudières gaz et du chauffage urbain, pour les ramener aux niveaux des radiateurs électriques. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Après travaux, les gains énergétiques sont toujours plus importants pour l’électrique que pour tout autre type d’énergie ( -31%). Pour le gaz, là encore, la disparité entre l’individuel et le collectif persiste : -28 % pour le premier, -25% pour le second. Et pour finir, la rénovation d’un immeuble bénéficiant du chauffage urbain ne produit en moyenne que 18% d’économies
Clairement, on peut considérer que l’énergie et le mode de chauffage ne sont pas sans importance dans le résultat d’une amélioration énergétique, et ce, en dehors de toute considération théorique. Cela indique que tous les logements ne sont pas égaux devant la rénovation. On s’en doutait, même si l’on pensait d’abord à des contraintes d’ordre architectural.
Dans la même étude, l’APUR témoigne de quatre rénovations énergétiques menées sur des immeubles dont les périodes de construction varient. Les écarts entre les consommations effectives et théoriques sont considérables :
Un immeuble haussmannien se voit doté de nouvelles menuiseries, mais aussi de chaudières basse température. Le gain énergétique mesuré est très honorable (-36%), mais il reste bien inférieur au gain théorique (-61%) qui fait passer cet immeuble de la classe G à la classe D.
De même, un ensemble de logements des années 70, dont la façade est pourvue balcons aux motifs complexes, ne permettra pas une isolation extérieure optimale. Le gain ne sera en réalité que de 10% et cependant l’approche théorique l’avait estimé à 63% …
Le troisième immeuble, lui aussi datant des années 70, présente une architecture moins sophistiquée, avec de simples balcons filants. Bénéficiant du chauffage urbain, sa consommation énergétique avait été sous-estimée. Le gain effectif après travaux sera de 37% tandis que sa consommation théorique aura baissé de 60%.
Quant au dernier immeuble, il est la preuve que quelque chose ne va pas au royaume du DPE. Sa consommation en énergie primaire avait été estimée 296 kWh … alors qu’il ne consommait réellement que 75 kWh ! Même avec les coefficients de conversion les plus défavorables, on n’arrive pas à cet écart. Après travaux, le gain relatif sera à peu près identique entre l’approche théorique et la consommation effective (environ -40%). Mais partant d’une consommation déjà basse, l’énergie réellement économisée ne permettra probablement pas d’amortir au mieux les travaux de rénovation.
Bref, tout cela indique que nos logements nous réservent quelques grosses surprises. Au vu des écarts relevés entre consommation théorique et consommation effective, force est de constater que tous les paramètres ne sont pas identifiés. Pour l’heure, on est encore loin d’appréhender avec justesse les performances énergétiques réelles de nos bâtiments. La prise en compte de l’individualisation du mode de chauffage, par exemple, pourrait être un premier pas vers plus d’exactitude.