Le fait religieux : sujets et objets dans un monde globalisé
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Depuis la fin des années 1980, de multiples formes de « religiosité » s’affirment dans l’espace public et se détachent des débats récurrents que nous connaissions jusqu’alors concernant les relations des religions avec le politique (État, institutions), avec la société et avec leurs contenus religieux proprement dits. Ces nouvelles formes de religiosité affectent autant les trois monothéismes que d’autres religions et systèmes de croyances. Paradoxalement, dans certains cas, la sécularisation croissante du politique et des sociétés s’est accompagnée d’une présence importante d’hommes et surtout de femmes dans les communautés de foi déliées des formes et de l’autorité traditionnelles des religions. Partout, le politique et le religieux ne font plus bon ménage et se séparent.
Par ailleurs, nous observons un mouvement permanent de globalisation des biens du salut qui se construit sur leur « déculturation », qu’il s’agisse de ceux concernant le monde de l’au-delà ou de ceux touchant l’intramondain : discipline des corps et des esprits, techniques de spiritualités pour un marché mondialisé, moralisation des conduites et des pratiques, promesses de renaissance et de redécouverte du sens, liens avec le salut ou l’apocalypse écologiques, nouvelles formes de pèlerinages et de rencontres « religieuses », déplacements de gourous et de télévangélistes, marchés du halal, du casher et de l’alimentation saine…
La rencontre de ces deux phénomènes suscite de nouvelles formes de religiosité dont les néofondamentalismes constitueraient l’expression la plus répandue et la plus cohérente, mais guère la seule.
D’une manière générale, ces formes de religiosité repérables dans toutes les sociétés contemporaines ont été le plus souvent analysées soit en termes de déplacement des problèmes socio-économiques et politiques liés à la crise (de l’État, des institutions nationales, de l’économie) vers une expression religieuse des acteurs, soit en termes de construction identitaire des acteurs, leur apportant sens, voire dignité et émancipation (en particulier pour les femmes) dans le contexte d’un monde globalisé, d’États défaillants et de sociétés en crise. Ce second type d’interprétations avait du mal à se dégager d’un préjugé culturaliste, parfois communautariste, véhiculé par des sciences sociales liées à l’histoire de l’édification particulière des États-nations, des républiques et de leurs liens avec l’idéologie de la « laïcité ».
Les acteurs, leur religiosité et l’idéologie de la « laïcité »
Comment sortir du préjugé culturaliste affectant les sciences sociales, les décisions politiques et les médias et de leur prophétie autoréalisatrice intériorisée et portée en miroir par les acteurs en question ? Nous privilégierons des contributions qui lient les choix religieux des acteurs avec les normes démocratiques, c’est-à-dire :
● les acteurs, leur capacité de réflexivité qui n’a plus rien à voir avec la relation spontanée à une culture religieuse transmise, leurs trajectoires, leur façon de vivre leur foi, de la redécouvrir, de l’élargir et de se la réapproprier ou, au contraire, de s’en détacher ; les formes de rationalisation qu’ils défendent et leur manière de sortir d’un éventuel ghetto,
● et la relation revisitée entre la liberté des croyances religieuses et les expressions démocratiques des citoyens. Dans certaines sociétés, une conception de la laïcité qui confine le religieux dans l’espace privé, peut ignorer les nouvelles logiques des choix de religiosités, au risque de développer une ligne allophobique et excluante perdant de vue la complexité des choix, des attitudes et des pratiques des croyants aujourd’hui.
Les « radicalisations » ici et ailleurs des hommes et des femmes
Depuis le milieu des années 1980, parfois même un peu plus tôt, une très forte mobilisation des chercheurs (sociologues, anthropologues et politistes) s’est manifestée sur les thèmes désormais liés des « banlieues », des nouvelles affiliations religieuses, du chômage, de la montée de groupes et de fronts d’extrême droite, des politiques de la ville et des institutions municipales…
● Entre 1985 et 2015, qu’y a-t-il de récurrent, qu’y a-t-il de nouveau ? À partir de quel lieu les recherches se bâtissent-elles ? De « l’Occident » qui considère le 11 septembre 2001 comme un moment de rupture ? À la suite des États-Unis, l’Europe a donné une grande importance à la compréhension et à l’analyse de la bascule de certains acteurs musulmans d’une religiosité considérée comme littérale, communautaire (tablighis, salafistes) vers une affiliation à la fois radicale, offensive et globale, surdéterminant les actions spectaculaires d’une poignée de jihadistes au détriment des populations européennes de religion musulmane, débouchant sur une politique sécuritaire qui conforte la sécurité existentielle de ses citoyens et agissant d’une manière totalement amnésique, voire indifférente aux évènements et aux analyses de faits semblables qui avaient déjà atteint de plein fouet toutes les sociétés à majorités musulmanes centrales ou périphériques.
● Quels liens peut-on établir entre les adolescents nés dans les sociétés européennes et en quête de socialisation et de sens, ayant expérimenté la transgression délinquante, le temps de la prison et leur attrait pour les groupes dits radicaux, différents de ceux de la phase antérieure, et incarnés désormais dans l’injonction d’un pseudo État « islamique » qui règne sur un territoire, exploite des ressources, construit ses ministères, son armée, règne avec ses lois sur des populations autochtones héritières des conflits qui ont ensanglanté les sociétés moyen-orientales depuis le milieu des années 1975 ?
● Où et comment se fabrique la « radicalisation » des acteurs (mosquées, médiateurs charismatiques, prisons, le net, les réseaux) ? Qu’en est-il des trajectoires des jihadistes européens revenus de l’État « islamique » ainsi que des dispositifs de surveillance et de réinsertion ? Qu’apporte la confrontation des analyses des jihadistes européens avec ceux du Moyen-Orient, d’Europe centrale ou d’Asie (appartenances de classe, profession, insertion dans la société, offre religieuse) ?
● Enfin, quelle place donner à la féminisation importante des vocations radicales tant des femmes salafistes que des femmes juives orthodoxes ou encore fondamentalistes hindoues, bouddhistes, évangélistes, etc.
Les contributions, relatives aux points suggérés dans cet appel, sont attendues sur toutes les religiosités actuelles sortant l’islam de son exclusivité réifiante et permettant de nourrir une perspective anthropologique sur le monde global présent dans lequel, sous une de ses faces, l’identité religieuse est devenue une marchandise comme une autre du capitalisme financiarisé, qui s’achète dans des supermarchés numériques de biens idéels et dont on peut changer aussi souvent qu’elle se révèle usée, subjectivement impuissante et objectivement inopérante.
Coordination
Annie Benveniste, Nicole Khouri, Yves Lacascade, Monique Selim.
Calendrier
Les résumés des propositions (5 000 signes) sont à adresser par mail en format word avant le 1er septembre 2015 aux coordinateurs et les articles complets (si acceptés), d’une longueur maximum de 40 000 signes (espaces compris) avant le 1er février 2016, avec copie à la rédaction du Journal des anthropologues (afa@msh-parisfr).
Contacts
Annie Benveniste : annie.benveniste@orange.fr
Nicole khouri : khouri.n@wanadoo.fr
Yves Lacascade: yves.lacascade@aliceadsl.fr
Monique Selim : monique.selim@ird.fr
Publication
2e semestre 2016
Subjects and objects of religion in a global world
Since the late 1980’s, many forms of « religiosity » have been expressed in the public space, in contrast with old recurring debates focusing on the relationships between religion and politics (state, institutions), between religion and society or between religion and its own religious contents. These new forms of religiosity do not concern the three monotheist religions only but all other systems of faith. Paradoxically, in some cases, the increasing secularization of politics and societies was accompanied by a significant presence of men and especially women in communities of faith, freed from traditional forms of religious authority, politics and religion no longer coexist anywhere and get separated.
Furthermore, we observe a permanent globalization movement of salvation products built on their deculturalization. It does not concern only those belonging to the afterlife world but also to the actual word: body and spirit discipline, techniques of spiritualities for a globalized market, moralization of behaviors and practices, promises of rebirth and rediscovery of meaning, links with the ecological apocalypse and salvation, new forms of pilgrimages and « religious » meetings, travels of gurus and televangelists, halal, kosher and healthy food market…
The conjunction of these two phenomena gives rise to new forms of religiosity. Neo-fundamentalisms would be their most frequent and coherent expressions, but not the only ones.
Most of the time, these forms of religiosity present in all contemporary societies have been analyzed either in terms of displacement of socio-economic and political problems connected to the crisis (of the State, of national institutions, of economy) towards a religious expression of the actors, or in terms of construction of their identity by the actors themselves, because they give them meaning and even dignity and emancipation (especially to women) in a context of globalization, failing states and crisis. This second type of interpretations had to fight against a culturalist and communitarian prejudice, conveyed by social sciences because of their relation to the particular history of the construction of Nation States, republics and their links with the ideology of « secularity ».
The actors, their religiosity and the ideology of « secularity »
How can we get rid of the cultural bias affecting social sciences, political decisions and the media and free the actors from their interiorized self-fulfilling prophecy? We will choose contributions where the actors are analyzed through the link between their religious choices and the democratic standard:
● the actors, their capacity of reflexivity disconnected from a spontaneous link with a transmitted religious culture; their trajectories, their way of living their faith, of rediscovering it, of expanding it and of appropriating it or, on the contrary, of separating from it; the ways of rationalization they defend and their ways to escape a possible ghetto should be linked with.
● the revisited relations between the freedom of religious beliefs and the norm of a « democratic » expression of the citizens.
Men’s and women’s « radicalization » here and elsewhere?
In some societies, a conception of secularity that encloses religion in the private sphere ignores the new logical choices of religiosities, and plays a great part in the development of a phobic and exclusive line, which loses sight of the complexity of believers’ choices, attitudes and practices today.
Since the middle of the 1980’s, and sometimes even earlier, researchers (sociologists, anthropologists and political scientists) have been engaged with such topics as « suburbs », new religious affiliations, unemployment, the rise of extreme right groups and fronts, urban policies and municipal institutions... and the links between these topics.
● From1985 to 2015, what is recurrent? And what is new? Where are researches realized from? Only from « the West » which considers September 11th 2001 as a rupture or from everywhere else as well?
Following the United States, Europe gave a great importance to the understanding and the analysis of the dramatic change from a Muslim religiosity, considered as literal and community based (Tablighis, Salafists), towards a radical, offensive and global affiliation, justifying the spectacular actions of a handful of Jihadists to the detriment of European Muslim populations. This turnaround led to security policies reinforcing the existential security of the citizens which were applied in a fully amnesic way, taking no interest in events and analyses of similar facts which had already affected all the central or peripheral Muslim majorities societies.
● What links can be established between teenagers born in European societies, probably in search of socialization and meaning, having experienced delinquent transgression or prison and their current attraction to so-called radical groups, different from those of the previous phase, as they are now embodied in the order of a pseudo « Islamic » State established on a territory, exploiting resources, building ministries, an army, laws, ruling indigenous populations who were involved in the conflicts that had bloodstained the Middle East societies from the mid of 1975?
● Where and how does the « radicalization » of actors (mosques, charismatic mediators, prisons, web, networks) occur? How to analyze trajectories of European jihadists, coming back from Daech? What about monitoring devices and reintegration programs? What does the comparative of analyses of different jihadists coming from Western or Eastern Europe, from Middle-East or Asia bring in terms of social, professional belongings and of religious offer?
● What place should we give to women radical vocations, those of Salafist, Ultra-orthodox Jewish, fundamentalist Hindu or, among others, evangelist women?
Contributions related to the different points suggested in this call are expected. They should deal with current religiosities and allow for Islam to be taken out of its reifying exclusiveness so as to feed an anthropological perspective on the present global world. A world where religious identity has become a capitalist good, among other ones; a good that can be picked up in digital supermarkets of ideal products, and easily replaced as often as it is considered worn-out, subjectively helpless or objectively inoperative.
Coordinators
Benveniste Annie : annie.benveniste@orange.fr
Khouri Nicole : khouri.n@wanadoo.fr
Lacascade Yves : yves.lacascade@aliceadsl.fr
Selim Monique : monique.selim@ird.fr
Abstracts (between 1 000 and 1 500 words) should be sent by mail before September 1st 2015, (with a copy to the Journal des anthropologues editorial staff: afa@msh-paris.fr) to the coordinators, the full articles, if accepted, (40 000 typed characters including spaces) are awaited before February 1st 2016.
Publication
This special issue will be published by the end of 2016