Cyberharcèlement de Manon Lanza après le GP Explorer: comment faire en sorte que cela n'arrive plus?
Femme au volant, harcèlement au tournant? La seconde édition du GP Explorer, course de Formule 4 réunissant principalement des influenceurs, a remis en lumière la question du cyberharcèlement visant les femmes exposées sur les réseaux sociaux.
Lors de cette course samedi, la vidéaste Manon Lanza a percuté la voiture d'un autre youtubeur, Maxime Biaggi. Les deux ont dû déclarer forfait et la pilote, blessée, a été emmenée à l'hôpital. Verdict: un choc thoracique et une hernie aux cervicales. Pendant ce temps, sur les réseaux sociaux, une montagne de messages, pour beaucoup sexistes ("femme au volant...", "retourne faire la vaisselle") et injurieux la citent.
Ce n'est pas la première fois qu'un événement important de l'Internet français entraîne le cyberharcèlement d'une femme. La streameuse Ultia en a fait l'amère expérience lors du ZEvent (un marathon caritatif sur Twitch) de 2021. Dénonçant le comportement sexiste de l'influenceur Inoxtag, elle a reçu une vague d'insultes et de menaces de viols sur les réseaux sociaux. Aujourd'hui encore, elle affirme à BFMTV.com recevoir des messages insultants de manière quasi-quotidienne.
Les créatrices de contenus sont également visées en dehors de ces importants événements. Des streameuses dénoncent depuis des années le sexisme auquel elles doivent faire face tous les jours sur Twitch et des vidéos très regardées peuvent également servir de prétexte à des vagues de cyberharcèlement. C'est ce qui est arrivé en avril à Audrey, une participante à une vidéo de Squeezie, le youtubeur le plus suivi de France (18 millions d'abonnés). Mais des solutions existent pour éviter de tels déferlements de violence.
De la prévention avant les événements
Une fois que le harcèlement a commencé, il est presque "trop tard" pour y faire quelque chose, déplore auprès de BFMTV.com la streameuse Nat'ali. "Le harcèlement, pour l'empêcher, c'est un travail de fond, continu, qui demande de la remise en question, de l'investissement", estime-t-elle.
Laure Salmona, cofondatrice du collectif Féministes contre le cyberharcèlement, suggère aussi des mesures à mettre en place avant des événements de grande ampleur comme le GP Explorer ou le ZEvent. "Dans beaucoup d'événements physiques aujourd'hui, il y a des affiches, ou une prise de parole au début de l'événement en disant qu'il y aura une tolérance zéro sur les agressions sexistes et sexuelles, racistes, etc.", souligne la coautrice du livre Politiser les cyberviolences.
"Je ne vois pas ce qui empêche de faire la même chose en parlant spécifiquement des violences en ligne et du cyberharcèlement", poursuit-elle.
Une sensibilisation au fil des contenus
Nat'ali voudrait aussi que les créateurs de contenus "se renseignent sur le cyberharcèlement, sur le sexisme, sur comment mieux le gérer" et qu'ils en parlent "au fur et à mesure" de leurs publications, "bien avant un événement".
"Des personnes qui ont une énorme communauté, qui savent que leur audience peut participer à des raids de cyberharcèlement d'une manière ou d'une autre, devraient utiliser cette grande audience pour faire de la prévention sur le sujet", en invitant des spécialistes par exemple, approuve Laure Salmona.
Une gestion de crise adaptée
Cela ne signifie pas qu'il faut rester les bras croisés lorsque les premiers messages de cyberharcèlement sexiste arrivent. Nat'ali aurait voulu que le GP Explorer se dote d'une "équipe de communication chargée de la gestion de crise et spécialisée dans le cyberharcèlement". Contactée, Bump, l'agence qui organisait l'événement, ne nous a pas indiqué si cela avait été fait.
Manon Lanza elle-même a jugé que la réaction des participants à la course n'avait pas été à la hauteur. Auprès de l'AFP, elle a affirmé que "les choses ne se sont pas déroulées comme elles auraient dû" pour la protéger.
"Les commentateurs ont juste diffusé la vision de Maxime, du coup, on se rend difficilement compte de ce qu'il se passe en piste. (...) Il aurait été pas mal d'avoir d'autres angles de vue, ou une image de l'ambulance pour que les gens se rendent compte que j'étais blessée", souligne-t-elle.
En effet, au moment de l'accident, sur le live de la course, les commentateurs ont largement souligné la déception de Maxime Biaggi face à l'arrêt brutal de son expérience au deuxième tour. Même s'ils affirment qu'ils "n'en veulent absolument pas à Manon", que "c'est le jeu" et que de tels moments font "partie de la course".
"Il était tellement exemplaire, il était tellement studieux sur ce GP Explorer que ça fait très très mal, et surtout si tôt dans la course", entend-on par exemple dire, tout comme "ça se fait pas" et "ils (NDLR: Maxime et un membre de son équipe) me mettent la larme à l'œil".
Des réactions immédiates et sans équivoque
Manon Lanza a également déclaré à l'AFP qu'elle aurait aimé "que la réaction soit plus immédiate de la part des youtubeurs et qu'ils se sentent autant concernés en tant qu'homme qu'une femme peut l'être". Les participants à la course ont parfois attendu plusieurs jours pour leur apporter leur soutien et Squeezie, le créateur de l'événement, ne l'a fait que mardi.
Il s'est expliqué sur ce délai, déclarant lors d'un live Twitch qu'il ne voulait pas en parler "en étant très en colère, en étant très à chaud" et ne pas être "sûr que ça aide la cause d'agir comme ça sous l'impulsion et sous la colère".
Lors de son live, il a passé une quinzaine de minutes à expliquer à ses abonnés en quoi ce cyberharcèlement était sexiste. Il a pointé la forme des messages, leur virulence et leur nombre. Pour étayer son propos, Lucas Hauchard a pris l'exemple des deux dernières polémiques dans lesquelles il était impliqué: une tribune sur la régulation du milieu de l'influence et la fin de sa relation avec le youtubeur Cyprien. Selon lui, dans ces deux cas, son nom a été cité dans 40.000 tweets, alors que Manon Lanza "s'est pris plus de 65.000 tweets" avec une moindre notoriété.
"Tolérance zéro"
Et alors que dans son chat, certains disaient que ces faits n'avaient pas de rapport avec le fait que Manon soit une femme, le vidéaste a bien fini par s'énerver: "Cassez-vous de ce live! Cassez-vous de Twitch, cassez-vous des réseaux! On vous déteste tous, vous nous faites honte! Vous nous mettez dans des bourbiers! Dégagez de là par pitié!"
Pour Laure Salmona, du collectif Féministes contre le cyberharcèlement, cette prise de parole était "le minimum légal" et l'influenceur pourrait aller plus loin. "Il leur dit "cassez-vous", mais lui, il a la possibilité de les bannir de sa chaîne [NDLR: ce qu'il a fait mardi pour certains de ceux qui insultaient Manon dans le chat]. Il pourrait y avoir zéro tolérance à l'encontre des cyberharceleurs", ce qui empêcherait le sentiment d'impunité des personnes qui commettent des cyberviolences, pointe-t-elle.
En 2021, la streameuse Ultia avait d'abord demandé aux organisateurs du ZEvent de ne pas parler du harcèlement qu'elle subissait, "pour que l'affaire s'étouffe". Aujourd'hui, elle juge qu'elle a été "naïve", car cette stratégie n'a pas marché.
"Avec le recul, il aurait fallu que les organisateurs prennent position direct. Et avant de participer à un gros événement comme ça, il faudrait faire signer une charte qui dit que tous les participants doivent prendre la parole" dans ce type de situation.
Un volet judiciaire?
Afin que le sentiment d'impunité des auteurs de cyberharcèlement prenne fin, Nat'ali voudrait également voir ces affaires prendre une tournure judiciaire. "Ce n'est pas à la portée de tout le monde de payer un avocat et de se lancer dans une plainte, mais c'est à la portée de Squeezie. Il devrait être à la disposition des victimes collatérales de son événement, leur payer l'avocat, les accompagner", suggère la streameuse engagée contre le cyberharcèlement. La peine encourue pour les auteurs majeurs de harcèlement en ligne est de deux ans de prison et 30.000 euros d'amende.
Manon Lanza a de son côté indiqué ne pas souhaiter porter plainte. Nous avons demandé à Bump si un tel accompagnement lui avait été proposé, mais n'avons pas reçu de réponse dans l'immédiat.
Des inégalités reproduites en ligne
Comme le souligne Laure Salmona, les cyberviolences sont liées aux inégalités qui existent dans la société, comme les inégalités femmes-hommes, et les réseaux sociaux en sont des "miroirs grossissants". Entre eux, les créateurs de contenus peuvent être amenés à reproduire des dynamiques inégalitaires. Une internaute a souligné sur X (ex-Twitter) que sur les 10 dernières vidéos publiées sur la chaîne YouTube de Squeezie, très peu de femmes y étaient évoquées ou montrées.
D'autres ont pointé le manque de parité parmi les invités de Maxime Biaggi, qui anime la populaire émission Zen sur Twitch: sur deux saisons, seules deux femmes ont été invitées sur une vingtaine d'épisodes. Dans un rapport de 2019, le Conseil de l'Europe, une organisation intergouvernementale de défense des droits humains, explique qu'une "représentation déséquilibrée" et un "manque de participation significative des femmes" dans les médias "contribue à un environnement qui tolère et banalise le sexisme 'ordinaire'".
"C'est une responsabilité, quand on est invité sur une chaîne et qu'on est un homme, de voir si une femme ne pourrait pas être invitée à sa place", affirme donc Laure Salmona.
Des influenceurs trop "lisses"?
Par ailleurs, l'audience et le modèle économique de l'influence n'incitent pas forcément les créateurs à prendre position dans des affaires de cyberharcèlement sexiste.
"Les influenceurs, leur but, c'est d'abord de devenir célèbres et donc de se faire de l'argent. Et pour faire ça, il ne faut jamais être clivant, jamais prendre position, jamais contredire. Il faut être lisse", synthétise Nat'Ali.
Depuis que son cyberharcèlement a commencé, en 2021, Ultia dit se sentir ostracisée et estime avoir perdu des opportunités de collaborations avec d'autres influenceurs. "Les gros streameurs ne vont pas te contacter parce que t'es quelqu'un à problème, on sait que si t'es invitée, il va y avoir des choses à gérer, des insultes dans le chat" raconte-t-elle. Lorsqu'elle a participé à l'émission d'un autre streameur en novembre 2022, elle a refusé d'en envoyer le lien à son père face à la violence du chat.
3018: le numéro vert dédié au cyberharcèlement
En cas de cyberharcèlement, vous pouvez composer le 3018 pour joindre un dispositif d'écoute des victimes. Ce numéro est joignable 7 jours sur 7 de 9h à 23h.