Le Citizen Lab, un centre de recherche canadien, a révélé le 18 avril que le gouvernement espagnol avait lancé une campagne d’espionnage des indépendantistes catalans, grâce au logiciel Pegasus. Le rapport retrace les méthodes utilisées pour piéger les victimes.

9 mois après les révélations sur le logiciel espion Pegasus, on continue à découvrir de nouvelles victimes. Ce lundi 18 avril, Le Citizen Lab, un organisme canadien basé à l’université de Toronto, a publié un rapport accusant le gouvernement espagnol d’avoir piégé au moins 51 personnes liées au mouvement indépendantiste catalan.

Ce laboratoire spécialisé dans les menaces informatiques avait déjà travaillé précédemment sur des téléphones d’opposants politiques ciblés par Pegasus. Les chercheurs ont continué leur travail et ont été en mesure d’expliquer comment les smartphones concernés ont été infectés par le logiciel espion israélien.

Citizen Lab situe le début de la campagne d’espionnage entre 2017 et 2020. C’est à ce moment-là que l’ensemble des victimes ont reçu les premiers liens piégés. À cette époque, de nombreux responsables politiques catalans étaient poursuivis par la justice espagnole pour « rébellion » après un mouvement indépendantiste avorté.

Parmi les personnes visées figurent l’actuel président régional catalan Pere Aragoné, les ex-présidents régionaux Quim Torra et Artur Mas, ainsi que des eurodéputés, des députés du parlement régional catalan et des membres d’organisations civiles. Carles Puigdemont, le leader du mouvement, n’a pas été directement ciblé, mais les smartphones de son épouse et une dizaine de proches collaborateurs ont été infectés par Pegasus.

Des SMS personnalisés, des notifications Twitter, des mises à jour de réception de colis…

Le gouvernement espagnol, directement accusé par le laboratoire canadien, aurait utilisé plusieurs méthodes pour piéger les politiques et leur entourage. Ainsi plus 200 SMS ont été recueillis, intégrant un lien malveillant, incitant les victimes à cliquer. Dès qu’une personne se rendait sur l’URL, son appareil était infecté depuis un serveur d’exploitation Pegasus. Les messages sont personnalisés en fonction des cibles, ce qui indique que les expéditeurs connaissent les habitudes et les activités des victimes.

Jordi Baylina, un développeur catalan engagé politiquement, a par exemple reçu un faux message de la compagnie Swiss International Air Lines avant d’embarquer sur un vol de la compagnie.

Cet indépendantiste a au total été visé à plus de 26 reprises et il est tombé dans le piège huit fois indique Citizen Lab. L’expéditeur se faisait passer pour l’administration fiscale ou la sécurité sociale et introduisait des informations réelles telles que le numéro de fisc de Jordi Baylina. Cela suppose que le pirate informatique avait déjà accès à ces informations.

L’autre leurre consistait à faire croire que la victime avait reçu une notification. L’utilisateur était par exemple invité à mettre à jour la réception son colis à travers un lien intégré.

De nombreux messages se faisaient passer pour des notifications Twitter, leur signalant une information importante sur un sujet que la victime suivait. Ainsi les organismes usurpés comprenaient des médias célèbres ou régionaux tels que The Guardian, Financial Times, Die Welt, La Vanguardia, Europa Press, El Temps, El Confidencial…

Les victimes recevaient de faux messages en provenance de Twitter avec des alertes de leurs médias favoris. // Source : Citizen Lab
Les victimes recevaient de faux messages en provenance de Twitter avec des alertes de leurs médias favoris. // Source : Citizen Lab

Jordi Baylina a reçu par une fausse notification de tweet de l’ONG allemande European Digital Rights et une autre prétendant être celui de l’opérateur de télécommunications suisse Swisscom.

Les Catalans ont également été ciblés en dehors de l’Espagne par des numéros étrangers. Marta Rovira, indépendantiste exilée en Suisse, a été visée alors qu’elle se trouvait chez les Helvètes avec un numéro suisse. Les deux messages envoyés avaient usurpé l’identité d’entités suisses : Swisspeace est une ONG, le centre de politique de sécurité de Genève.

Source : Citizen Lab
L’expéditeur était bien informé sur l’emplacement des cibles puisqu’elles recevaient des messages avec des numéros suisses au moment où elles se trouvaient dans ce pays. Source : Citizen Lab

Tous les indices pointent en direction du gouvernement espagnol

Citizen Lab retrace les SMS jusqu’à un nom de domaine précédemment identifié comme appartenant à l’infrastructure d’infection du groupe NSO, créateur de Pegasus.

Comment être sûr que c’est bien le gouvernement espagnol qui est derrière cette campagne d’espionnage ? Le centre de recherche canadien explique qu’il « n’est pas en mesure d’attribuer avec certitude la responsabilité de ces piratages, mais un ensemble de preuves indirectes pointe dans la direction d’une ou plusieurs entités au sein du gouvernement espagnol » :

  • Les cibles présentaient un intérêt évident pour le gouvernement espagnol ;
  • Le moment précis du ciblage correspond à des événements présentant un intérêt particulier pour le gouvernement espagnol ;
  • L’utilisation d’informations privées dans les SMS suggère un accès aux informations personnelles des cibles, telles que les numéros d’identification du gouvernement espagnol ;
  • Le Centre national de renseignement espagnol aurait été un client du Groupe NSO.

Si le Citizen Lab peut affirmer qu’au moins 51 personnes ont bien été infectées par le logiciel Pegasus, le laboratoire insiste sur le fait que les victimes sont probablement plus nombreuses. En effet, il est encore difficile de savoir combien de téléphones ont été piégés et d’autres révélations devraient voir le jour à l’avenir.

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