La semaine dernière, des internautes ont fait une découverte : nous allons mourir un jour. Surprise ! Une vérité banale, donc, mais qui semble avoir causé pas mal d’émois sur TikTok, où de « vieux internautes » (je reprends les termes de BFMTV parce qu’ils m’amusent, sachez quand même que l’on parle globalement de gens entre 30 et 60 ans) ont testé un filtre qui prétend rajeunir les traits d’une personne.
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Un filtre est un programme de réalité augmentée qui permet de modifier l’aspect du visage. Dans ce cas précis, on est censées ressembler aux adolescentes qu’on a été, c’est-à-dire sans aucune ride (note : en revanche, le filtre ne rajoute pas d’acné virtuelle). Or, pour plusieurs utilisateurs et utilisatrices, l’expérience a été très émouvante. Certaines se sont filmées en train de pleurer, visiblement émues d’être confrontées à leur passé. Une collection de ces vidéos est ensuite devenue virale sur Twitter. « Le futur sera encore plus étrange que ce qu’on peut imaginer », a commenté son auteur, qui y voit un exemple des futurs dangers de l’intelligence artificielle. De mon côté, j’avoue que j’ai du mal à trouver cette histoire étrange. Au contraire, elle me semble assez typique du web de 2023 : un outil technologique nous provoque des émotions, aussitôt formatées pour être consommées par d’autres internautes. Même mon scepticisme est quelconque !
Sur les réseaux sociaux, nous sommes nos propres ennemis
Beaucoup de personnes se sont aussi inquiétées de l’effet de ce filtre sur notre santé mentale, de la même manière qu’on s’inquiète souvent de l’estime de soi des adolescentes, bombardées de contenus retouchés et tentées de se comparer aux célébrités. Là encore, c’est un sujet classique, et en vérité assez difficile à étudier. À qui la faute : les filtres à selfie, le modèle économique des plateformes, l’industrie de la cosmétique qui a intérêt à ce que notre apparence naturelle ne nous convienne pas tout à fait, le manque de transparence du monde de l’influence, les médias et leurs normes, le corps des femmes toujours surveillé, le patriarcat, le sexisme ? Probablement tout ça à la fois, mais aussi un autre enjeu plus délicat. Le problème, ce n’est pas seulement qu’on se compare aux autres. C’est que l’on se compare à nous-même.
Si vous publiez du contenu sur les réseaux sociaux, vous espérez probablement attirer l’attention de vos pairs, si possible de manière positive. Mais, celui ou celle que vous devez surtout convaincre, c’est vous. L’année dernière, j’avais été marquée par un numéro de la newsletter Embedded (malheureusement les archives ne sont pas accessibles, mais je vous recommande de vous y abonner) qui parlait justement de ce sujet. « Avant, je décrivais la pression des réseaux sociaux comme une performance conçue pour plaire à une audience prête à me juger pour le moindre de mes défauts. Et puis j’ai réalisé que j’étais cette audience », écrivait la journaliste Kate Lindsay. « Combien de fois ai-je consulté mes propres pages Instagram, Twitter, Tumblr ou Facebook pour voir si j’y donnais bien l’image d’une femme drôle, occupée, intelligente, ou qui correspondait à une autre identité que j’essayais à ce moment-là ?»
Selon moi, c’est ce qui se joue dans notre fascination pour le filtre qui rajeunit, ou d’ailleurs n’importe quel autre outil pour embellir nos selfies. On ne jalouse pas tant les autres que toutes les manières dont on voudrait dépasser notre propre réalité. Ce phénomène s’exprime aussi au travers de pratiques plus low-tech comme le « manifesting » ou le « lucky girl syndrome », des internautes qui rêvent « d’attraper » le virus de la chance. Et il se nourrit surtout des réseaux sociaux qui fonctionnent comme des archives déformées de nos vies, en nous poussant constamment à regarder en arrière. Rappelle-toi ce que tu faisais il y a un, cinq ou dix ans, à quoi tu ressemblais quand tu étais plus jeune, toutes tes réussites passées et peut-être révolues. Nous allons mourir un jour. En attendant, on se regarde dans les yeux, et on espère être mieux.
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