Julien Bert, Rym Renom, Illan Castronovo, Simon Castaldi, Capucine Anav… tous ces influenceurs ont quelque chose en commun : ils ont été sanctionnés par le service de répression des fraudes. Depuis le mois de juin 2023, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) a obligé plusieurs influenceurs à publier sur leur compte Instagram un message public, dans lequel ils expliquaient avoir eu des « pratiques commerciales trompeuses ».
Ces mesures, extrêmement médiatisées, ont attiré à nouveau l’attention sur les dérapages et les mauvaises pratiques des influenceurs. Alors qu’une nouvelle loi, votée le 1er juin 2023, encadre de manière plus précise ce que les créateurs de contenus doivent faire lors d’opérations commerciales, la DGCCRF va avoir un rôle important à jouer. Contrôles des influenceurs, enquêtes sur des sites de dropshipping… Sarah Lacoche, à la tête de la DGCCRF, a répondu aux questions de Numerama sur les prochaines actions à venir.
« Nous avons mis en place un réseau d’enquêteurs » : entretien
Numerama — Quelles sont les priorités de la DGCCRF ?
Sarah Lacoche — Nous travaillons sur différents axes, comme la thématique des influenceurs, mais aussi sur le dropshipping — nous avons réalisé des vagues de contrôles sur les marketplaces depuis plusieurs années, et les taux de non-conformité, voire de dangerosité de certains produits, demeurent importants.
Nous travaillons également en ce moment sur la thématique des faux avis, et c’est vraiment important parce que nous nous rendons compte que certains avis sont de faux avis, ou que certains professionnels ne laissent que les bons avis, ce qui est aussi un problème.
Nous sommes également vigilants sur tout ce qui concerne les sites qui monétisent les démarches administratives, parce que ces sites sont souvent très bien référencés, et ils peuvent être confondus avec les vrais sites administratifs. Nous commençons également à travailler sur le sujet des univers immersifs et de l’intelligence artificielle, pour voir si des pratiques et des risques émergent.
Nous pensons qu’il est très important d’informer le consommateur, donc nous avons mis en place tout un dispositif de communication et de conseils, notamment sur comment faire ses achats sur internet, que nous allons continuer de renforcer. Nous avons également mis en place le site SignalConso, qui permet de signaler des problématiques rencontrées par des consommateurs sur des sujets liés à tout ce qui est numérique.
Comment avez-vous enquêté sur les influenceurs ?
Nous avons mis en place un réseau d’enquêteurs, et ils vont vraiment commencer à intensifier les contrôles à la rentrée. Nous travaillons par ciblage, pour regarder les influenceurs qui sont les plus importants en termes de followers. Nous regardons aussi ceux qui travaillent avec des agences, nous capitalisons sur les signalements qui remontent, et ensuite nous observons.
Nos enquêteurs regardent vraiment les pratiques des influenceurs de façon très précise, et ils détectent les pratiques qui sont trompeuses et qui ne sont pas transparentes vis-à-vis des consommateurs. Notre angle d’attaque, c’est de nous assurer que les influenceurs, dès lors qu’ils sont dans une pratique commerciale, le fassent savoir de façon claire aux personnes qui les suivent, et nous sommes également très vigilants sur le fait qu’ils ne fassent pas la promotion de choses interdites. Cela peut arriver, il y a des produits financiers risqués, ou des cas de publicités pour des esthéticiennes faisant des injections alors que ce sont des pratiques qui doivent être faites par des professionnels de santé…
Il y a une procédure très transparente vis-à-vis à des influenceurs, il y a un échange avec eux. On ne dégaine pas comme ça une injonction sans leur avoir parlé.
Concrètement, comment les enquêtes se passent-elles ? Un enquêteur va aller sur les réseaux sociaux d’un influenceur, et va regarder si les publications sont bien signalées dans le cadre de partenariats rémunérés ?
Exactement, on regarde s’ils sont en train de faire la promotion de pratiques interdites, ou qui sont très fortement encadrées, etc. Les enquêteurs vont vraiment prendre le temps de regarder tout ce qui est fait sur les réseaux sociaux, et ensuite, à partir de ça, qualifier selon eux quels sont les manquements.
Combien d’enquêteurs sont mobilisés ?
À ce stade, nous avons un réseau d’une trentaine d’enquêteurs, et nous avons obtenu des renforts à hauteur de 15 enquêteurs à temps plein. Nous avons décidé qu’il était important à la fois de travailler sur le sujet des suites juridiques, et avoir des gens qui pourraient être spécialisés dans des sujets cryptos, ou des produits financiers. On voit que les influenceurs nécessitent d’avoir cette expertise assez forte, et l’idée c’est que nous avons structuré ce réseau d’enquêteurs sur tout le territoire, et qu’ils vont intensifier les contrôles.
Pour cette année, nous avons 70 enquêtes en cours à ce stade, mais l’idée est d’augmenter les enquêtes à la rentrée. Et ce sont des sujets qui intéressent : quand on a demandé qui souhaitaient s’impliquer sur le sujet des influenceurs, on a eu beaucoup de candidats. Ce sont des sujets qui sont contemporains et qui parlent aux gens dans leur quotidien, donc on voit un intérêt assez fort sur ce sujet-là.
Nous avons aussi vu augmenter de façon relativement forte les signalements sur les influenceurs : il y avait en 2021 une centaine de signalements, donc quelque chose de relativement faible, et là nous en sommes à plus de 6 000 signalements. On a beaucoup parlé des influenceurs, donc le fait d’avoir expliqué qu’il était important que ceux-ci soient très transparents dès lors qu’ils avaient une intention commerciale, ça a sensibilisé les publics qui suivent les influenceurs.
À partir de quand considérez-vous que quelqu’un peut être un influenceur ? Est-ce qu’il y a un seuil à atteindre ?
Ça n’est pas un sujet de seuil en termes de nombre de followers, c’est vraiment par rapport à l’intention commerciale. C’est cette limite qui a été posée dans les textes, le fait que ça soit une activité rémunérée. Si vous êtes un influenceur avec beaucoup d’audience, mais que vous donnez des cours de gym à titre gratuit puisque vous adorez faire ça, la DGCCRF n’ira pas vous contrôler. Si au contraire vous avez très peu d’abonnés, mais que systématiquement vous avez des marques qui vous rémunèrent, et bien là, pour le coup, vous êtes dans le cas des contrôles de la DGCCRF.
La loi pour encadrer les influenceurs est très récente, mais est-ce que vous avez vu un changement dans les pratiques des influenceurs depuis sa parution ?
C’est peut-être un peu tôt, parce que la loi est très récente. Je pense qu’il faut se laisser le temps de l’appropriation et de la compréhension. Ce qu’on peut espérer, c’est qu’on voit une amélioration des pratiques.
Quand les premiers noms sont sortis suite aux contrôles que nous avons faits et aux sanctions prises, on s’attendait à ce que ça ait un certain retentissement. J’espère que cette publicité couplée avec toutes les actions pédagogiques qui ont été mises en œuvre vont faire que les règles seront mieux connues et mieux maitrisées. Les influenceurs et ceux qui les suivent doivent comprendre quelles sont les règles du jeu.
Est-ce que d’autres noms d’influenceurs vont être publiés dans l’année ?
Oui il y a en aura ! Ce seront des publications en fonction des enquêtes, et je pense qu’on essayera de faire un bilan de ce qu’on observe sur la thématique. On va continuer de regarder.
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