L’emploi opérationnel de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) aura lieu à deux occasions, entre le 19 et le 21 avril, en Île-de-France. Pour un concert de Black Eyed Peas et pour un match de football. Un déploiement discret, en amont des Jeux olympiques de Paris, mais qui soulève des interrogations et des craintes pour l’avenir.

La préparation pour les Jeux olympiques de Paris entre dans sa dernière ligne droite. La montée en puissance de l’appareil sécuritaire aussi, pour éviter tout débordement durant la compétition. Et pour que tout soit prêt le jour J, les dispositifs sont testés et déployés en amont : la preuve avec la vidéosurveillance algorithmique (VSA).

Courant avril, cette VSA va justement se déployer avant les JO de Paris 2024, à l’occasion de deux évènements : pour une rencontre de football au Parc des Princes, à Paris, entre les équipes du Paris Saint-Germain et de l’Olympique Lyonnais ; et pour le concert du groupe Black Eyed Peas dans le stade du Paris La Défense Arena.

Précisément, cette VSA sera active du 19 au 22 avril 2024 pour le match de football, via 118 caméras installées en gare de Paris-Gare de Lyon et du Pont du Garigliano. Pour le concert de musique, la VSA sera mobilisée du 20 avril à 14h au 21 avril 2024 à 6h, en utilisant les caméras des stations de Nanterre Préfecture (RER A) et La Défense Grande Arche (RER A + Métro 1).

black eyed peas
will.i.am, du groupe Black Eyed Peas. // Source : Oli Zitch

Ces détails sont consignés dans deux arrêtés de la préfecture de police de Paris (2024-00493 et 2024-00494), publiés ce mercredi 17 avril. Ils ont été repérés par l’association La Quadrature du Net, via l’outil AttrapSurveillance. Celui s’emploie à repérer les arrêtés préfectoraux. Les deux autorisations sur la VSA ont été détectées en milieu de journée.

La préfecture de police de Paris n’a pas particulièrement médiatisé la sortie de ces deux arrêtés — à l’heure de sortie de l’article, un message récent sur compte officiel sur X se focalisait sur le renfort de la police britannique en prévision des JO. Les sites du ministère de l’Intérieur et de la préfecture n’en font pas mention non plus.

Cette communication inexistante est, aux yeux de La Quadrature du Net, la preuve d’une manœuvre du préfet de police, Laurent Nuñez : « En publiant aussi tardivement ces arrêtés, le préfet de police tente d’éviter au maximum les recours en justice, qui n’auront probablement pas le temps d’être jugés avant le début de la surveillance algorithmique. »

Les deux arrêtés rappellent qu’ils peuvent effectivement être contestés par divers moyens, y compris via un tribunal administratif. Cependant, « aucune de ces voies et recours ne suspend l’application de la présente décision », est-il aussi rappelé. Cela laisse à peine deux jours pour agir avant la mise en route de la VSA, et obtenir un jugement. C’est très court.

Ce n’est pas la première fois que la VSA fait parler d’elle. Elle a été testée les 3 et 5 mars pour les concerts de Depeche Mode et le 20 mars pour un match de basket entre Paris et Nancy. Cependant, la préfecture avait affirmé alors que la VSA ne serait pas opérationnelle. Il s’agit juste d’une phase technique, à des fins de paramétrage.

Utilisation opérationnelle pour détecter divers évènements

Les deux autorisations données ce 17 avril suivent cette fois une logique de mise en application opérationnelle.

Pour le match de foot, il est question d’utiliser cette vidéosurveillance par intelligence artificielle pour détecter :

  • un franchissement ou présence d’une personne dans une zone interdite ou sensible ;
  • une densité trop importante de personnes ;
  • un mouvement de foule ;
  • une présence d’objets abandonnés.

Concernant le concert, les évènements à suivre seront :

  • une intrusion en zone interdite au public ou sensible ;
  • un mouvement de foule dans des zones à risques ;
  • une densité anormalement élevée ;
  • une présence d’un bagage abandonné.
Nanterre-Préfecture_-_Sortie_Carillon_1
Une sortie de la station Nanterre-Préfecture. // Source : Bmazerolles

Toutes ces situations sont prévues dans le cadre d’un décret qui a fixé les conditions de mise en œuvre de cette vidéosurveillance algorithmique. Il existe quatre possibilités : un début d’incendie, une personne gisant au sol, un véhicule ou une personne allant à contresens, et une présence ou un usage d’arme.

Ce qui n’est pas d’actualité, c’est la reconnaissance ou l’identification faciale — rendant périphériques les problématiques de ciblage. Le décret écarte en principe tout système d’identification biométrique et tout traitement de données de cette nature. Rapprocher, croiser ou relier ces informations avec des données personnelles n’est pas non plus admis.

Des conservations de données sont toutefois prévues dans le cadre de la VSA : « Les opérations de collecte, de consultation, de communication, de modification et d’effacement des images faisant l’objet d’une analyse algorithmique, ainsi que les signalements générés par le traitement font l’objet d’un enregistrement. »

La VSA a été approuvée dans le contexte de la sécurisation des jeux, via la loi relative aux JO du 19 mai 2023. Sur le papier, la vidéosurveillance algorithmique est mise en œuvre « à titre expérimental » et il n’est pas prévu de l’étendre au-delà du 31 mars 2025 — les jeux se seront achevés bien avant, le 8 septembre 2024.

Le risque d’une expérimentation qui va être pérennisée… et étendue ?

Or pour les contempteurs du dispositif, la principale crainte est que ce qui est censé être ponctuel finisse par devenir pérenne. C’est « la généralisation de la surveillance qui se dessine derrière ces prétendues expérimentations », commente ce jour La Quadrature du Net. En matière de sécurité publique, le provisoire a tendance à durer.

On peut le voir avec le plan Vigipirate. S’il a été révisé à plusieurs reprises au fil du temps, il est surtout appliqué quasi sans interruption depuis 1995. Le niveau d’alerte est actuellement au plus haut, depuis le 24 mars, deux jours après l’attentat à Moscou.

Le péril terroriste est justement ce qui motive la préfecture de police de Paris à mobiliser la VSA pour sécuriser les abords des deux lieux. Le match et le concert « [apparaissent] particulièrement exposés à des risques d’actes de terrorisme », compte tenu des circonstances, mais aussi de l’ampleur de leur fréquentation.

En particulier, le préfet de police fait observer « que la France est le pays occidental le plus touché par le terrorisme djihadiste depuis 2012. » Depuis 2020, « dix attaques abouties ont été enregistrées, contre quatorze projets déjoués, dont deux depuis le début de l’année. » Et les JO constituent, pour des raisons évidentes, une cible de choix.

caméra vidéosurveillance
Souriez, vous êtes vidéosurveillés algorithmiquement. // Source : Alex Knight

Au regard de la trajectoire du plan Vigipirate et de la mission Sentinelle, le facteur du terrorisme est de nature à inciter les autorités à conserver un tel outil. D’ailleurs, cette menace a largement contribué à faire évoluer l’arsenal législatif dans le sens d’un durcissement, rappelle Public-Sénat. Trente-cinq ans de législation antiterroriste, titre Vie Publique.

Au-delà de la pérennisation du dispositif (le gouvernement ayant indiqué y songer après les JO, selon la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra), il y a une autre problématique : celle de l’effet cliquet. Il ne faut pas écarter un phénomène d’accoutumance, de banalisation, qui rendrait ensuite l’idée d’un élargissement de la VSA plus acceptable.

« Il est impérieux de se prémunir de tout effet cliquet lié à la mise en œuvre de certains dispositifs »

Cnil

Cette dérive avait déjà fait l’objet d’une mise en garde la Cnil, en 2019, au moment d’évoquer la reconnaissance faciale dans la société. « Il est impérieux de se prémunir de tout effet cliquet lié à la mise en œuvre de certains dispositifs », commentait la Commission nationale de l’informatique et des libertés, en traçant ses lignes rouges.

« Les expérimentations ne sauraient éthiquement avoir pour objet ou pour effet d’accoutumer les personnes à des techniques de surveillance intrusive, en ayant pour but plus ou moins explicite de préparer le terrain à un déploiement plus poussé », ajoutait-elle. Un commentaire qui pourrait être aujourd’hui prolongé à la VSA.

Ce rappel est d’autant plus d’actualité que les partisans d’une extension de ce genre de dispositif poussent dans cette direction, comme le montrait un rapport sénatorial de 2022. L’année suivante, une proposition de loi a été déposée pour autoriser la reconnaissance faciale dans l’espace public. Là encore, un test. Là encore, temporaire (trois ans).

Cette défiance envers la VSA ne vient pas de nulle part. Elle s’inscrit dans un contexte où une certaine forme de surveillance se met en place, parfois à l’abri des regards. C’est ce que tend à montrer l’affaire Briefcam (la police utiliserait secrètement un logiciel de reconnaissance faciale), que met le ministère de l’Intérieur dans l’embarras.

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