Ces derniers mois, la raison d’être des sports d’hiver a semblé plus que jamais menacée par diverses polémiques. Que ce soit avec l’occupation par des activistes du glacier de la Girose, dans le massif des Écrins, en Isère, pour dénoncer les projets d’aménagement d’un nouveau téléphérique, ou bien la remise en cause de l’organisation des événements sportifs en avant-saison suite à la destruction partielle du glacier Théodule, en Suisse. Derrière ces actions militantes une même question : quel avenir pour le ski dans une planète en surchauffe ?
Si ces dernières décennies, la France a pu voir certaines stations de ski fermer faute de neige ou de modèle économique pérenne, la plupart des stations espèrent plutôt s’adapter face à la hausse des températures. Mais la reproduction des recettes qui ont fait leurs preuves par le passé permettra-t-elle de faire face aux défis soulevés par le réchauffement du climat ?
À travers l’étude inédite de 2234 stations de sports d’hiver en Europe publiée dans Nature Climate Change, nous avons tâché de mesurer les impacts du réchauffement climatique sur l’enneigement des stations, et les marges de manœuvre possible dont peuvent disposer ces stations pour s’adapter.
Cette question ne répond pas seulement à une préoccupation de skieurs amateurs ou professionnels. Le ski est également un enjeu économique, avec un chiffre d’affaires total estimé à 30 milliards d’euros en Europe, et 120 000 emplois dépendant directement et indirectement de l’économie du ski rien qu’en France.
La moitié des stations manquerait de neige à +2 °C de réchauffement planétaire
Phénomène planétaire, le changement climatique n’épargne de fait aucune station, mais tous les massifs de montagne ne sont pas touchés avec la même intensité ni avec la même vitesse, et les capacités de limiter les impacts de ces changements par la production de neige sont également très contrastées. Nous avons estimé les conséquences du changement climatique sur les stations de sport d’hiver en fonction des niveaux possibles de réchauffement planétaire, en utilisant pour cela la représentation graphique, couramment utilisée dans les rapports du GIEC, des « burning embers ».
À +2 °C de réchauffement planétaire par rapport à la période de référence 1850-1900, c’est-à-dire le niveau de réchauffement attendu au milieu du 21ème siècle 53 % des stations à l’échelle européenne sont concernées par un risque très élevé de faible enneigement, sans production de neige. Nous évaluons le risque de faible enneigement en fonction de la fréquence de conditions d’enneigement considérées comme les plus défavorables, celles rencontrées en moyenne une saison sur cinq entre 1961-1990, âge d’or du développement des stations. Un « très haut niveau de risque » correspond au retour de ces conditions défavorables une saison sur deux.
On note cependant des déclinaisons contrastées à l’échelle nationale : dans les Alpes françaises cette proportion concerne un tiers des stations alors que dans les Pyrénées et dans les massifs de moyenne montagne franco-suisses ce sont respectivement 89 % et 80 % des stations concernées par un très haut niveau de risque de faible enneigement.
À + 4 °C de réchauffement planétaire, c’est 98 % des stations européennes qui sont concernées par un très fort risque de faible enneigement, sans production de neige. Avec un tel niveau de réchauffement, le climat laisse peu de marges d’adaptation aux stations de sports d’hiver.
La neige artificielle ne sera pas une solution miracle
Pour s’adapter à la tendance de la diminution de l’enneigement, aujourd’hui, une des solutions les plus mises en avant est la production de neige, qualifiée par certains de « neige de culture » et par d’autres de « neige artificielle ». La production de neige consiste à projeter des micro-gouttelettes d’eau dans l’atmosphère afin qu’elles congèlent avant de retomber au sol. La neige ainsi obtenue, constituée de petites billes de glace, est un matériau propice à la confection d’une sous-couche.
Par le passé, la production de neige était surtout vouée à limiter l’impact des fluctuations naturelles de l’enneigement d’une saison à l’autre. La neige est aujourd’hui majoritairement produite en avant-saison, sans connaissance des conditions météorologiques de l’hiver à venir, puis de manière plus ponctuelle si nécessaire entre les vacances de Noël et d’hiver, cruciales pour l’activité économique, ainsi que pour assurer l’ouverture du domaine skiable jusqu’en fin de saison.
Comme l’enneigement naturel, la production de neige est touchée par l’augmentation des températures, car la production de neige requiert des conditions météorologiques suffisamment froides. Cette double pression conduit à des investissements croissants pour garantir la possibilité de produire de la neige dans des proportions suffisantes, augmentant par là même la dépendance des stations de montagne au tourisme de neige. Le risque associé à cette dynamique est celui de la maladaptation, c’est-à-dire une solution d’adaptation répondant à court terme à des problèmes amplifiés par le changement climatique, mais entraînant une vulnérabilité structurellement accrue à l’aléa.
Pour le tourisme de ski, cela correspond à une situation dans laquelle le poids économique des investissements consentis se heurte à la récurrence des conditions d’exploitation défavorables, qui ne permettent pas, à terme, de supporter l’outil de production. À terme, le danger est de conduire jusqu’à un point de rupture, l’effondrement de l’économie des sports d’hiver se répercutant sur la dynamique locale de développement.
Les stations de ski ne pourront pas toutes s’adapter de la même façon
Si les stations sont inégalement touchées par le changement climatique, elles sont également plus ou moins capables de s’adapter à la hausse des températures en produisant de la neige. À +2 °C de réchauffement planétaire, la production de neige, si elle est mise en œuvre sur 50 % de la surface de pistes, permet de réduire à 7 % et 9 % la part des stations exposées à un très haut niveau de risque de faible enneigement dans les Alpes et les Pyrénées alors que dans les massifs de moyenne montagne cette proportion est de 56 %. Ces différences sont encore plus marquées à des niveaux de réchauffements plus élevés.
Toutefois, il faut rappeler ici que si le niveau d’enneigement est déterminant pour la viabilité socio-économique d’une station de sport d’hiver, il ne constitue pas une garantie à lui tout seul de la pérennité d’une station : d’autres critères déterminants existent comme l’état du parc de remontées mécaniques, les modalités de promotion/commercialisation, ou la capacité d’hébergement et leur attractivité. On ne peut donc pas conclure directement de chiffres caractérisant le risque de faible enneigement la proportion ou le nombre de stations susceptibles de cesser leurs activités ski.
Par ailleurs, si la production de neige a un impact positif substantiel sur l’amélioration des conditions d’exploitation des domaines skiables, cela n’en fait pas pour autant une solution générique, applicable de la même manière, quel que soit le domaine skiable. Notre étude montre également que le gain marginal des surfaces couvertes par des installations de production de neige n’est pas toujours à la hauteur des attentes.
Au-delà de 50 % de surface couverte, l’efficacité des moyens de productions supplémentaires apparaît souvent moindre que le bénéfice des premiers investissements, et les velléités d’équipement doivent être regardées avec encore plus d’attention, notamment par rapport aux coûts que cela implique : économiques pour l’exploitant, mais également environnementaux, à la fois au regard des pressions sur les écosystèmes, des besoins en eau et électricité, mais aussi en fonction des choix d’allocation des ressources et de l’adaptation d’autres activités que celle du domaine skiable.
Produire de la neige émet du carbone
De plus, la production de neige n’est pas vierge d’émission carbone, composante qu’il faut donc avoir en tête avant d’ériger cette technique comme la réponse ultime à la réduction de l’enneigement.
Nous avons donc calculé également les besoins en eau nécessaires, la production et de la demande énergétique qu’elle implique, l’empreinte carbone de l’électricité utilisée pour la production de neige. Sur la période de référence (1961-1990), la quantité totale de neige produite sur les pistes couvertes par les installations représente 13 % des précipitations totales qui tombent annuellement sur ces mêmes pistes. Considérant une couverture des pistes par des équipements de production à hauteur de 50 %, le volume total devrait connaître une croissance de 8 % à 25 %, en fonction des pays, pour un réchauffement de +2 °C, davantage pour un réchauffement plus marqué.
En outre, cette demande a tendance à se décaler dans le temps avec une moindre production en novembre, due à la diminution des fenêtres de froid favorables à la production en début d’hiver. Ainsi, il est probable que les services rendus par la production de neige ne soient pas les mêmes que par le passé, ce qui risque de fragiliser d’autant plus l’enneigement pendant les fêtes de fin d’année.
Dans tous les cas, le volume total d’eau potentiellement mobilisé demeure modéré, et une grande partie de cette eau est restituée aux cours d’eau au moment de la fonte. Pour autant, cela ne préjuge pas de situations délicates à l’échelle locale, en fonction des usages (y compris les besoins des écosystèmes) et des modalités de prélèvement de la ressource et de l’évolution de l’hydrologie de montagne en lien avec le changement climatique et l’évolution de la contribution de la cryosphère.
De manière similaire, l’empreinte carbone de l’électricité utilisée pour la production de neige, de l’ordre de 80 kt eq CO2 et avec une croissance comparable à celle du besoin en eau en fonction du réchauffement, reste limitée, même si elle varie beaucoup en fonction du mix énergétique des différents pays (par exemple la Norvège, avec une hausse de +30 % des émissions de gaz à effet de serre à +2 °C conserve une des empreintes carbone les plus faibles tous climats confondus, au regard de l’intensité carbone des mix énergétiques actuels).
N’oublions pas le transport et le logement des skieurs
Néanmoins, il n’est pas possible de détacher la production de neige de l’activité touristique qui la justifie, même si elle n’est responsable intrinsèquement que de quelques % de l’empreinte carbone d’une destination touristique de sports d’hiver, dominée par le transport et le logement des skieurs (dans sa globalité le secteur touristique représente 11 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau national (8 % au niveau mondial au niveau mondial).
Dès lors, dans un contexte de changement climatique, cela pose la question de l’évolution des mobilités face à la raréfaction des sites skiables et à la nécessité d’assurer le fonctionnement des domaines skiables, dont la gestion est rendue de plus en plus complexe et critique au regard de la dégradation des conditions naturelles d’enneigement.
Le risque associé est bien celui de l’accroissement des émissions carbone du tourisme de ski justifiant des déplacements de plus en plus lointains. Mais cela est-il bien compatible avec l’avenir de cette activité et le développement économique et social de zones de montagne particulièrement vulnérables à l’érosion de la biodiversité et au réchauffement de la planète ? Notre étude montre le besoin d’articuler adaptation et décarbonation dans le secteur touristique, sans se focaliser exclusivement sur une seule des dimensions de ce défi majeur.
Hugues François, Ingénieur de recherche tourisme et système d’information, Inrae; Raphaëlle Samacoïts, Ingénieur Climatologie et services climatiques, Météo-France et Samuel Morin, Chercheur et directeur du Centre national de recherches météorologiques (Météo-France – CNRS), Météo France
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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