Le SMS doit-il disparaître ? Pour Google, le débat n’a pas lieu d’être. Depuis quelques années, l’entreprise milite pour le remplacement de cette solution d’antan par le RCS (Rich Communication Services), un nouveau standard plus sécurisé et, surtout, plus complet. Google l’a déployé dans son application Android Messages en 2019 (sous le nom de « Chat ») et, depuis, attend patiemment la disparition totale du SMS.
Trois ans après, le SMS est loin d’avoir rendu l’âme. Après avoir longtemps favorisé une solution pacifique en demandant poliment à Apple de collaborer, Google hausse le ton. Hiroshi Lockheimer, son vice-président, accuse Apple d’être à l’origine de tous les maux du RCS. Bien sûr, la réalité est plus nuancée.
Bulle bleue contre bulle verte
Depuis 2011, les iPhone supportent deux protocoles de messagerie. Apple propose bien évidemment l’incontournable SMS mais aussi iMessage, une solution propriétaire réservée aux appareils de la marque. Aux États-Unis particulièrement, iMessage est incontournable. Là-bas, où l’iPhone est majoritaire (quasiment 60% de parts de marché selon Statcounter), les applications comme WhatsApp ou Facebook Messenger n’ont pas le même succès qu’en Europe.
Pour certains d’Américains, communiquer en SMS plutôt qu’en iMessage (avec une bulle verte plutôt que bleue) est un signe d’échec social. Certains n’achètent un iPhone que pour pouvoir faire partie de « l’élite » de la messagerie.
C’est justement sur ce point que Google attaque Apple. Dans un article, le Wall Street Journal révèle l’étendue de cette « guerre des bulles ». Son enquête donne l’exemple d’adolescents harcelés à l’école parce qu’ils n’auraient pas accès à iMessage (leurs messages sont verts). Hiroshi Lockheimer accuse Apple « d’utiliser l’intimidation pour vendre des produits ». Selon lui, le verrouillage d’iMessage est une stratégie mûrement réfléchie. Après avoir provoqué un vif débat, il a ensuite publié un thread Twitter pour appeler Apple à la raison en adoptant le standard RCS. La solution arrangerait bien Google.
Google a-t-il raison ?
Sur le papier, il est difficile de donner tort à Google. Si Apple décidait d’adopter le RCS dans une future mise à jour d’iOS, il améliorerait la vie de millions d’utilisateurs, pour ne pas dire des milliards. Les messages envoyés entre iPhone et smartphones Android seraient chiffrés, enrichis (accusés de réception, indicateur de composition d’un message, photos et vidéos haute définition, conversations de groupe, etc.) et tout cela se ferait automatiquement.
Il suffirait d’insérer un numéro de téléphone, l’iPhone se chargerait ensuite de détecter si son correspondant dispose d’un terminal compatible RCS. À la fin, tout le monde y gagnerait et Apple pourrait même conserver iMessage pour les conversations iOS/macOS.
Cependant, cela réglerait-il vraiment le problème de harcèlement décrit par le Wall Street Journal ? Sauf si Apple décidait de partager les bulles bleues de ses iMessage avec les RCS (ce dont nous doutons très fortement) ou de sortir iMessage sur Android (ce dont nous doutons encore plus), de nombreuses personnes continueront probablement de préférer les communications entre iPhone.
Hiroshi Lockheimer joue sur l’émotion pour mettre l’opinion publique de son côté; mais sait sans doute que le vrai gagnant de ce changement serait Google qui, pour la première fois depuis quinze ans, ne semblerait pas distancé par Apple en matière de messagerie (Google tente de concurrencer iMessage depuis dix ans mais échoue à chaque fois). La seule chose qui pourrait pousser Apple à adopter le RCS est la vie privée, un axe très important dans sa communication. Apple peut-il se contenter du SMS non chiffré, alors qu’une alternative plus fiable existe ?
Le RCS n’est pas parfait
Ce que Google ne dit pas dans sa communication est que le RCS souffre d’autres défauts qui, pour le coup, n’ont pas grand-chose à voir avec Apple.
Le premier d’entre eux concerne son fonctionnement. Initialement, les messages RCS devaient transiter par les serveurs des opérateurs téléphoniques. Après avoir longtemps espéré que tout le monde jouerait le jeu, Google a dû se rendre à l’évidence en 2019. Aucun opérateur ne comptait investir et le RCS était voué à l’échec. En conséquence, Google a monté ses propres serveurs et assure lui-même le transfert d’un RCS d’un smartphone Android à un autre. Dans l’hypothèse où il finirait par convaincre Apple de le rejoindre, il est fort probable qu’Apple refuse de passer par les serveurs de son concurrent et monte sa propre infrastructure.
Autre point qu’oublie de mentionner Google : il est lui-même responsable du déploiement ralenti du RCS. Pendant longtemps, Google a réservé à son application Android Messages le support du standard, sans doute pour pousser un maximum d’utilisateurs à l’installer. Le problème est que, chez certains constructeurs, d’autres applications de messagerie sont installées par défaut. Imagine-t-on vraiment une personne non intéressée par les technologies aller dans les paramètres pour changer son logiciel de SMS pour supporter le RCS ? Sur cet aspect, Apple a toujours eu une longueur d’avance avec son logiciel unique imposant iMessage par défaut.
Enfin, l’autre défaut du RCS concerne l’engouement des utilisateurs et utilisatrices. S’il n’y a aucun doute sur l’intérêt des Américains pour cette solution, l’Europe et l’Asie privilégient des applications tierces depuis longtemps (WhatsApp, Messenger, Instagram, Telegram, Signal, WeChat, etc.) Les États-Unis ont longtemps eu le SMS plus facile, notamment parce qu’il est gratuit et qu’il fonctionne à tous les coups. Au vu de sa domination aux États-Unis et du manque d’intérêt du reste du monde, Apple peut très bien continuer de prétendre que le RCS n’existe pas. Le fait que Google insiste autant sur les réseaux sociaux prouve en tout cas une chose : à l’heure actuelle, Apple ignore ses sollicitations.
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