Crater of Mount Nyiragongo

Histoire

La vie au bord du gouffre : des géoscientifiques sondent l'une des régions les plus instables du monde

Près d'un million de personnes vivent à la frontière de la République démocratique du Congo et du Rwanda. Cette région aux sols fertiles et à l'eau propre et poissonneuse attire, mais sa richesse a un prix.

Cet environnement magnifique et luxuriant est à la fois instable et imprévisible. Le mont Nyiragongo est un volcan actif qui peut se réveiller à tout moment ; de même, le lac Kivu peut libérer des gaz destructeurs dans l'atmosphère sans prévenir. En 2021, des géophysiciens parrainés par le Programme international de géosciences de l'UNESCO ont entrepris d'étudier cet environnement fascinant, afin d'évaluer la myriade de menaces qui couvent sous la surface.

Le mont Nyiragongo est un stratovolcan actif de la chaîne des Virunga, l'une des chaînes volcaniques les plus actives au monde. Jusqu'à présent, son activité a été essentiellement effusive, ce qui signifie que les éruptions produisent des coulées de lave plutôt que des explosions.

Du haut de ses 3 470 mètres, le mont Nyiragongo domine les villes de Goma, en République démocratique du Congo, qui compte près de 750 000 habitants, et de Gisenyi, au Rwanda, qui en compte plus de 80 000. Le centre-ville de Goma se trouve à 15 km au sud du flanc est du volcan.

En mai 2021, le volcan entre à nouveau en éruption. La lave s’écoule alors jusqu'au district de Buheme, à la périphérie nord de Goma, détruisant plus de 3 500 maisons, sept écoles, le réservoir principal de la ville et quatre centres de santé. On estime à 31 le nombre de morts. Selon les rapports officiels du ministère des communications, 232 433 personnes ont dû être évacuées de la région, mais d'autres estimations font état de 450 000 personnes ayant dû fuir leur domicile. L'éruption a été suivie de fortes secousses qui ont endommagé les infrastructures, les bâtiments et les habitations. En août 2022, la population n'avait reçu aucune compensation.

Goma nestled between Mount Nyiragongo and Lake Kivu
Goma, nichée entre le mont Nyiragongo et le lac Kivu

En 2022, Catherine Meriaux, cheffe de projet, a présenté à l'UNESCO les conclusions de son équipe sur les interactions observées entre le Mont Nyiragongo, le lac Kivu et la santé des communautés locales à la suite de l'éruption de 2021. Leur étude suggère notamment que le magma s'écoulera probablement vers la ville de Goma et le lac Kivu lors de la prochaine éruption, sur la base de leur analyse des contraintes d’extension du rift, combinées à celles liées à la topographie. Cette interprétation est cohérente avec l'orientation et la direction de l'écoulement du magma lors des deux dernières éruptions.

La Dr Meriaux est basée à l'Institut d'Afrique de l'Est pour la recherche fondamentale, hébergé par l'Université du Rwanda, un institut qui opère sous les auspices de l'UNESCO. Son équipe comprend des experts d'ISTerre, l'Institut français de recherche pour le développement, de l'Université d'Anvers en Belgique et de l'Autorité rwandaise de gestion de l'environnement (REMA).

Les gaz toxiques émis par le volcan nuisent à la santé de la population

Structural damage caused by the volcanic eruption and subsequent tremors
Structural damage caused by the volcanic eruption and subsequent tremors. © Jan Beyne

L'éruption de 2021 a libéré des tonnes de dioxyde de soufre et de dioxyde de carbone, deux gaz acides. Les émissions de dioxyde de soufre n'ont pas cessé depuis. Depuis mai 2002, le lac de lave permanent du Mont Nyiragongo émet quotidiennement jusqu'à 5 357 tonnes de dioxyde de soufre dans l'atmosphère.

La plupart des 43 personnes interrogées par l'équipe du projet en août 2022 ont indiqué que l'éruption de 2021 avait affecté leur santé, les plaintes les plus fréquentes étant les irritations des yeux et de la toux. Cela n'est pas surprenant, car les gaz volcaniques provoquent des maladies respiratoires. Cependant, ce sont les pluies acides de l'éruption, sous forme d'acide sulfurique, qui sont les plus nocives pour la population, car elles peuvent gravement endommager la végétation, réduire le rendement des cultures et la production de lait du bétail, et contaminer les cours d'eau avec des métaux lourds, ainsi qu'avec du chlorure acide et du fluorure corrosif.

Village near Mount Nyiragongo
Village près du Mont Nyiragongo

La deuxième phase du projet a démarré en avril 2023. L'équipe prévoit d'interroger les prestataires de soins de santé de la région d'ici la fin de l'année avant d'examiner la santé de la population à plus grande échelle. Si les problèmes de santé à court terme liés à une éruption volcanique sont bien connus, l'effet sur la santé du dégazage passif à long terme de volcans tels que le mont Nyiragongo est moins bien compris. Néanmoins, certaines études récentes suggèrent que ces effets à long terme ne doivent pas être sous-estimés.

En particulier, l'environnement volcanique semble être à l'origine d'un problème de santé chronique : la podoconiose. Cette maladie incurable et invalidante provoque une inflammation des membres inférieurs. On pense qu'elle est causée par l'exposition prolongée des pieds nus aux sols volcaniques, car des cas ont également été signalés dans d'autres pays tropicaux et subtropicaux d'altitude, mais il n'existe pas encore de preuves scientifiques solides pour étayer cette hypothèse. Une étude communautaire antérieure a révélé que la podoconiose était répandue dans l'ouest du Rwanda.

D'autres facteurs pourraient également être à l'origine de la podoconiose, comme un micro-organisme présent dans le sol. C'est pourquoi l'équipe a invité le Centre pour la biodiversité de l'Université du Rwanda, qui opère sous l'égide de l'UNESCO, et ISTerre à participer à l'analyse d'échantillons de sol dans le courant de l'année afin de mieux comprendre ce qui est à l'origine de la maladie.

Agriculture on the fertile slopes of Mount Nyiragongo
Agriculture on the fertile slopes of Mount Nyiragongo. © Petr Klabal / Shutterstock.com

Le lac Kivu peut-il entrer en éruption ?

Le lac Kivu représente un danger potentiel plus important que le mont Nyiragongo. Le lac se trouve à la frontière de la République démocratique du Congo et du Rwanda, au sommet d'une vallée du rift qui est responsable de l'activité volcanique accrue dans la région. Le lac atteint des profondeurs de plus de 450 m. Il contient 300 km3 (2,6 gigatonnes) de dioxyde de carbone dissous, ce qui correspond à environ 5 % des émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre. Il contient également 60 km3 de méthane mélangé à du sulfure d'hydrogène toxique.

La composition chimique du lac présente le risque d'une éruption limnique, également connue sous le nom de renversement du lac. Lors d'une éruption limnique, explique Dr Meriaux, des gaz dissous tels que le dioxyde de carbone ou le méthane se séparent soudainement de l'eau et remontent à la surface depuis les profondeurs du lac, formant un nuage de gaz capable d'asphyxier la faune, le bétail, les cultures et les êtres humains.

Les éruptions limniques peuvent être provoquées par des différences de température - comme en cas d'activité volcanique accrue - et par un changement de concentration de gaz dans les couches supérieures et inférieures d'un lac. Les niveaux de méthane et de dioxyde de carbone dans le lac peuvent augmenter au fil du temps, augmentant leur pression à mesure qu'ils deviennent saturés jusqu'à ce que, un jour, cette pression atteigne le seuil de saturation et que l’apparition spontanée de bulles de gaz se produise, processus s’emballant jusqu’à conduire à l’éruption des gaz. Une fois que le méthane atteint la surface, le gaz peut s'enflammer s'il est en concentration suffisante, créant une boule de feu. Un scénario catastrophique.

« Les scientifiques ont trouvé des preuves suggérant que les éruptions volcaniques, les glissements de terrain, les tremblements de terre et les eaux de pluie fraîches peuvent tous déclencher des éruptions limniques », explique Dr Meriaux, « mais il est également possible qu'un lac devienne instable de lui-même. Cela se produit lorsque les bactéries présentes dans les sédiments du fond du lac décomposent et fermentent la matière organique, augmentant ainsi la concentration des gaz ».

Elle rappelle « qu'en 1986, le lac Nyos, au Cameroun, s'est renversé, asphyxiant plus de 1 700 personnes et 3 000 têtes de bétail. Le lac Kivu est presque deux fois plus grand que le lac Nyos et contient mille fois plus de gaz que ce dernier », explique-t-elle. « Cela signifie qu'un renversement du lac Kivu pourrait potentiellement faire beaucoup plus de dégâts qu'une éruption du mont Nyiragongo. Aujourd'hui, la concentration de gaz dans le lac Kivu est bien inférieure au niveau critique de saturation, mais le risque demeure ; il faut simplement qu'il y ait un déclencheur ».

Logiquement, le pompage de l'eau dans les profondeurs du lac pour extraire le gaz naturel devrait réduire la concentration de méthane et, par conséquent, maintenir les niveaux de pression à un niveau bas. Mais le pompage pourrait-il aussi provoquer une éruption limnique ?

En 2016, ContourGlobal, une entreprise énergétique basée au Royaume-Uni, a commencé à extraire du méthane du lac Kivu sous licence du gouvernement rwandais. Le projet d'extraction, d'une valeur de 200 millions de dollars américains, est actuellement en phase 1 et fournit 26 MW d'électricité au réseau local par le biais de la centrale électrique KivuWatt de l'entreprise. ContourGlobal vise à produire plus de 100 MW au cours de la phase 2, soit suffisamment d'électricité pour environ 40 000 foyers rwandais. Cela doublerait presque la capacité du réseau existant du Rwanda. Selon le recensement national de la population et du logement, seuls 47 % des Rwandais étaient connectés au réseau en 2022.

ContourGlobal pompe l'eau des profondeurs du lac, sépare le méthane dissous de l'eau et réinjecte l'eau dégazée, plus légère, dans le lac. Au fil du temps, l'eau du lac devient donc moins dense. 

« Les gaz sont dissous dans l'eau en profondeur », observe Dr Meriaux. « Cela rend l'eau plus dense en profondeur et donc plus stable. Tant que le gaz est dissous et sous le seuil de saturation, il ne remontera pas à la surface sous forme gazeuse et ne provoquera pas d'explosion cataclysmique et de boule de feu lorsque le méthane sera exposé à l'air et s'enflammera ». Mais que se passerait-il si l'eau devenait moins stable ? « C'est une question à laquelle nous espérons répondre au cours de la deuxième phase de notre projet de recherche », déclare Dr Meriaux.

Bathers in Lake Kivu
Baigneurs du lac Kivu

Faire le lien entre le volcan et le lac

L'équipe de Dr Meriaux a collaboré avec le REMA pour étudier le phytoplancton dans le lac Kivu. En effet, le phytoplancton semble être très sensible aux conditions environnementales, ce qui en fait un bon indicateur des changements dans la couche de mélange du lac.

L'équipe de recherche a remarqué un changement net dans la population de phytoplancton trouvée dans les 60 premiers mètres du lac avant et après l'éruption de mai 2021. Les espèces de phytoplancton qui étaient abondantes avant l'éruption l'étaient moins après, et les espèces qui étaient moins présentes avant l'éruption étaient plus abondantes après.

L'équipe prévoit d'entreprendre d'autres recherches pour déterminer si ce changement est une conséquence de l'éruption, des conditions atmosphériques ou de l'exploitation du méthane dans le lac Kivu.

Les scientifiques souhaitent également savoir si l'activité accrue du mont Nyiragongo pourrait déclencher une explosion de gaz dans le lac Kivu. Auparavant, le REMA avait trouvé des preuves que de la lave s'était écoulée par des fractures souterraines sous la ville de Goma et le lac Kivu lors de l'éruption de 2021. Un jour plus tard, une secousse semblait avoir provoqué l'effondrement d'une partie d'un banc de sable au bord du lac. Le fait que des clients séjournant à l'époque dans un hôtel situé au bord du lac aient signalé avoir vu ce qui ressemblait à des eaux bouillantes au large suggère que l'effondrement de cette barre de sable a pu provoquer un léger dégagement de gaz à cet endroit précis du lac.

Au cours de la deuxième phase du projet, l'équipe travaillera à nouveau avec le REMA. Elle utilisera des données météorologiques pour déterminer s'il existe une corrélation entre les données recueillies sur le phytoplancton et les conditions atmosphériques de la région. Un géophysicien fraîchement formé à l'East African Institute for Fundamental Research pourrait rejoindre l'équipe, car le REMA n'a pas de géophysicien à l'heure actuelle. L'équipe de Dr Meriaux prévoit également de faire de la modélisation. L'un des objectifs sera de simuler la dispersion des gaz volcaniques émis quotidiennement par le volcan. L'équipe simulera également un scénario de dispersion du dioxyde de carbone et du méthane en cas d'éruption limnique du lac Kivu.

Contact

Programme international pour les géosciences et les géoparcs
(PIGG)