Nos députés et sénateurs ne manquent pas d'idées pour trouver des stratégies permettant d'atteindre la neutralité carbone en 2050, objectif de la Loi énergie-climat adoptée le 8 novembre 2019. Parmi les quelques mesures portées par nos représentants ces derniers temps, on peut citer cette loi du 5 avril 2024 "visant à favoriser le réemploi des véhicules" avec laquelle des voitures normalement destinées à la casse pourront être louées à "des personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale". Ou encore à ce projet de loi abandonné à cause de la dissolution de l'Assemblée nationale qui entendait autoriser entre autres les quadricycles légers les plus lourds à rouler sur les autoroutes et routes express. Mais l'un des sujets les plus fréquemment mis en avant, c'est le rétrofit, cette pratique peu connue des Français consistant à remplacer le moteur thermique d'une vieille voiture par un ensemble 100 % électrique.
L'idée est alléchante sur le papier. Les acteurs commencent à se multiplier. Hélas, pour le moment, les Français ne sont clairement pas friands de cette solution. Malgré le soutien de l'Etat, "le nombre de véhicules rétrofités reste epsilonesque : 400 véhicules en 2023", note une récente étude réalisée par trois chercheurs d'une école de commerce, Bernard Jullien, Jean-Sébastien et Marc Prieto. Peut-on s'attendre à un boom dans les prochaines années ? Pas selon eux. Résumé de cette analyse.
Pourquoi le rétrofit est intéressant en théorie
Terrain de l'étude
Pour réaliser cette étude, les chercheurs en question ont privilégié un scénario probable, le plus probable en tout cas pour l'instant, celui du maintien de l'hégémonie de l'automobile et son électrification". Un scénario, précisent-ils, qui est "partagé et défendu par de nombreux élus et acteurs du secteur de la mobilité" mais également par Secrétariat Général à la Planification Ecologique (SGPE), le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) ou l'Union européenne. En suivant cette hypothèse, les Français devraient continuer à utiliser leur(s) véhicule(s) en dehors des métropoles pour aller au travail, pour gérer leurs affaires quotidiennes, en un mot, pour se déplacer.
En partant sur "le maintien du système automobile" et non pas sur un système où la voiture serait abandonnée progressivement, il faudrait pour arriver à la neutralité carbone souhaitée que le parc automobile soit entièrement renouvelé. Autrement dit, il faudrait que les voitures électriques aient totalement remplacé les modèles thermiques, y compris sur le marché de l'occasion. Si la part des autos zéro émission a atteint un plutôt respectable 16,8 % sur le marché du neuf en 2023, elles ne représentent pour le moment que 2,20 % des 40,2 millions de voitures circulant sur le territoire. A la fin 2023, il n'y avait toujours pas 1 million de véhicules électriques en circulation en France.
Selon leurs calculs, "si la taille du parc reste quasi-constante en 2050 (40 millions de voitures particulières) et si le parc automobile se renouvelle au même rythme qu’aujourd’hui", nous devrions arriver à une part de 92,5 % bien plus flatteuse en 2050 avec un total de 37,18 millions de VE dans l'Hexagone. Problème, il y aurait encore 7,5 % de voitures thermiques, soit environ 3,02 millions...
Le rétrofit pour convertir les 3 millions restants ?
Or, justement, sur le papier, le rétrofit pourrait aider à transformer ces 3 millions et plus de voitures récalcitrantes. Selon les projections du syndicat des professionnels de l'automobile Mobilians, on pourrait avoir quelques 193 000 voitures particulières rétrofitées en 2028. En multipliant ce chiffre par 22 (2050 - 22 = 2028), on parvient à un total de 4,2 millions de véhicules. C'est plus que les 3,02 millions nécessaires pour parvenir à la neutralité carbone en 2050.
Et pourquoi ça ne peut pas marcher, en tout cas par pour les acheteurs particuliers
La question du prix, toujours elle
Et pourtant, ce scénario est très peu probable selon les experts dépêchés pour cette étude. Plusieurs raisons à cela, au premier rang desquels le coût de cette technologie. Malgré les subventions de l'Etat (elle s'élève en l'occurrence au mieux à 5 000 € en 2024), le reste à charge est important, "entre 12 350 € et 15 000 € selon l'ADEME". C'est beaucoup trop pour s'offrir une voiture au rayon d'action forcément limité puisque non prévu à l'origine pour être équipé d'une batterie de grosse taille et qui ne peut donc être que le 2e voire le 3e véhicule du foyer.
Si la transformation est si onéreuse, c'est que - notent par exemple les auteurs de cette analyse - "un rétrofiteur achète, en moyenne, 3 à 4 fois plus cher ses batteries qu'un constructeur". Ce sont pour la plupart de petites entreprises qui se sont spécialisées sur ce sujet et ne peuvent pas compter sur les prix agressifs dont profitent de grands groupes comme Renault ou Stellantis. A cela s'ajoute le coût de la recherche et du développement, celui de la main d'œuvre, etc.
Les chercheurs le savent : "une politique de subvention encore plus audacieuse pourrait être imaginée". Mais "dans quel intérêt", se questionnent-ils ? En fait, le problème réside dans le fait qu'un "véhicule rétrofité n'a pas la durée de vie d'un véhicule électrique neuf". Aux économies de CO2 réalisées une fois la transformation faite, il ne faut pas oublier que leur "durée de vie est, elle aussi, divisée par deux". Résultat, même avec une politique de subvention plus généreuse, le coût en CO2 de cette mesure serait tel que l'Etat ne pourrait pas respecter les objectifs qu'il s'est fixé. Et, dans le même temps, le parc de voitures zéro émission d'occasion devrait être suffisamment grand d'ici quelques années, les propositions suffisamment diverses pour que les consommateurs puissent trouver des véhicules "moins cher avec une meilleure autonomie".
Les utilitaires comme porte de sortie pour le rétrofit
En fait, il n'y a que pour les collectionneurs et les professionnels que la question du rétrofit peut à la rigueur s'envisager selon les chercheurs. Cela s'explique pour les premiers par leur pouvoir d'achat et les seconds par "le fait que ces véhicules ne soient pas composés seulement d’un habitacle mais aussi d’un ample espace de chargement relâche la contrainte architecturale en pouvant accueillir des batteries relativement grosses et standardisées". En d'autres termes, on peut avoir les mêmes performances qu'un véhicule utilitaire électrique neuf et donc envisager un usage moins ponctuel. C'est pour cette raison que "les trois chercheurs préconisent de concentrer le soutien public à ces véhicules".
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Pour résumer
Solution régulièrement mise en avant par certaines figures politiques, le rétrofit constitue sur le papier une solution intéressante pour accompagner le renouvellement complet du parc automobile et atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais son coût exorbitant est un frein trop important pour qu'elle s'impose, comme le démontre une récente étude.