Depuis l’annonce de l’interdiction de TikTok sur les téléphones portables des fonctionnaires français, la question est sur toutes les lèvres : l’application va-t-elle finir par être interdite en France, pour tout le monde ? Cette éventualité a longtemps paru absurde. Lorsque Donald Trump, alors président des États-Unis, avait annoncé en août 2020 son intention de bannir l’app, on se demandait si ce n’était pas une sorte de bluff.
Trois ans après, les choses ont changé. Le succès de TikTok a atteint de nouveaux sommets. La pandémie de Covid-19 les confinements successifs en 2020 et 2021 ont fait exploser les chiffres. TikTok a désormais 1,7 milliard d’utilisateurs actifs dans le monde. Elle est devenue l’une des plateformes les plus influentes avec Instagram — en France aussi, le réseau social est de plus en plus fréquenté.
C’est dans ce contexte que s’inscrit, aux États-Unis, une nouvelle procédure pour bannir TikTok. Sa proximité supposée avec le gouvernement chinois lui est toujours plus reprochée — et elle pourrait bien mener, pour de bon, à son interdiction dans certains pays occidentaux, à commencer par les USA.
Que reproche-t-on exactement à TikTok ?
Il existe à ce jour plusieurs fronts différents auxquels doit faire face TikTok : le réseau social doit en particulier convaincre le Congrès américain, l’Union européenne et les sénateurs français que son service n’est pas dangereux, pour les individus comme pour les institutions. Les reproches contre l’outil sont les mêmes : TikTok serait un danger pour la vie privée de ses utilisateurs, mais également pour les lieux de pouvoir, en tant qu’outil d’espionnage.
TikTok a accès à de nombreuses données sur ces utilisateurs, comme tous les autres grands réseaux sociaux. La particularité de TikTok vient du fait que l’app appartient à ByteDance, une entreprise chinoise. Cette dépendance l’expose à une législation du pays qui peut l’amener à fournir des données d’utilisateurs si le gouvernement lui demandait.
TikTok a d’ailleurs déjà reconnu que certaines informations étaient déjà accessibles depuis la Chine, sans préciser lesquelles. C’est cette alerte qui a en partie précipité l’interdiction pour les parlementaires américains et les membres de la Commission européenne d’installer TikTok sur leurs téléphones : les institutions occidentales craignent un possible espionnage de la part de Pékin.
Autre inquiétude : le temps passé par les plus jeunes sur l’app. Une étude publiée en 2022 montrait que les enfants et les adolescents passaient en moyenne 103 minutes par jour dessus — un chiffre élevé, qui pourrait encore grossir dans les prochaines années. Alors que Douyin l’équivalent chinois de TikTok, impose une limite de visionnage aux plus jeunes de 40 min par jour, ce n’est pas encore le cas pour le reste du monde.
TikTok peut-il être interdit en France ?
En France, l’interdiction pourrait passer par le Sénat. La Chambre haute a annoncé la création d’une commission d’enquête dédiée à TikTok le 8 février, dont le but est de se renseigner sur « l’utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données et sa stratégie d’influence ». Les sénateurs et sénatrices vont notamment chercher à savoir comment fonctionne son algorithme, pourquoi l’app est « plus addictive que d’autres », et si elle a des effets néfastes sur le développement du cerveau des adolescents et les enfants.
« Nous ne sommes pas en mesure d’affirmer que TikTok n’est pas un instrument potentiel de désinformation ou de manipulation au profit de régimes non démocratiques, ni que son utilisation est sûre au regard de la nécessaire protection des données », indique ainsi Claude Malhuret, le rapporteur de la commission, sur le site du Sénat. « La commission d’enquête permettra de faire toute la lumière sur ces questions et fera des recommandations. »
Les travaux de la commission ont débuté le 13 mars, avec l’audition de Marc Faddoul, un chercheur en intelligence artificielle spécialiste des algorithmes, et des employés de TikTok vont être interrogés. Néanmoins, le Sénat n’a pas de pouvoir en dehors de la France. Il n’a pas moyen d’exiger de réponses de la part de ByteDance. « Je ne me fais pas d’illusions, nous n’allons pas tout révéler, mais la commission permet de mettre un pied dans la porte », déclarait d’ailleurs Claude Malhuret lors d’un point presse le 9 février.
Les sénateurs et sénatrices ont six mois pour rendre leurs conclusions — elles devraient être rendues avant l’été et la suspension de l’activité parlementaire. Néanmoins, il est important de noter que la commission d’enquête n’a pas un pouvoir décisionnaire : elle ne peut que transmettre un rapport au Sénat et conseiller des actions à prendre, mais pas les mettre en place d’elle-même.
Néanmoins, « une mission d’informations peut déboucher sur les adaptations législatives, donc on pourrait proposer une loi, ou des propositions de résolutions européennes », indique la sénatrice Catherine Morin-Desailly, qui fait partie de la commission d’enquête, jointe par Numerama.
« Si les conclusions sont vraiment accablantes, j’espère qu’elles seront également regardées par le public et prises en compte. Le grand public a intérêt à faire attention à l’ensemble des plateformes. On est confrontés à des modèles très addictifs, et l’hyper consommation de ces réseaux, où l’opinion est façonnée par des algorithmes. Tout cela nous incite à être prudents. »
Est-ce que TikTok peut être interdit au niveau de l’Europe ?
Ce n’est pas qu’en France que TikTok pourrait être interdit : une telle décision pourrait aussi s’envisager au niveau de l’Union européenne. BFMTV notait d’ailleurs que l’interdiction de l’app « se prendrait très probablement au niveau européen, afin d’assurer une cohérence sur l’ensemble des pays de l’UE. »
La Commission européenne a lancé plusieurs enquêtes sur l’utilisation des données des utilisateurs par la Chine. « Le gendarme européen va enquêter d’une part sur l’utilisation des données faites par le réseau social chinois, mais aussi sur les publicités ciblées pour les mineurs », rapportait BFMTV. Thierry Breton, le commissaire au marché intérieur, a par ailleurs « appelé TikTok à faire preuve de davantage de transparence sur le fonctionnement de ses algorithmes », signe que l’UE suit de près l’affaire.
Comment pourrait-on interdire TikTok ?
Dans le cas où les sénateurs préconiseraient une interdiction de l’app, cela ne serait donc pas immédiatement la fin de TikTok en France. Il faudrait tout d’abord que le Sénat suive leur recommandation, que l’Assemblée se saisisse du problème, ou que la décision soit prise au niveau européen. Dans les deux cas, il faudrait suivre une procédure législative, qui peut s’étaler sur des semaines ou des mois.
Si l’interdiction de la plateforme est prononcée, plusieurs leviers d’action existent pour la rendre effective.
La principale mesure est de procéder au retrait de l’application sur les magasins de l’App et de Google Play, pour priver l’extrême majorité des particuliers ayant un iPhone ou un téléphone Android. Il ne serait plus possible de mettre à jour l’application ou de la télécharger. L’accès à l’application sur les téléphones déjà équipés pourrait aussi être contrarié.
TikTok existe aussi sous la forme d’un site web. À ce niveau-là, les pages pourraient également être bloquées — l’option d’un blocage par DNS est un outil bien connu des fournisseurs d’accès à Internet et des opérateurs mobiles. Cette mesure suffit à bloquer l’essentiel des internautes (savoir contourner un blocage DNS semble être une difficulté pour une majorité d’individus). Les moteurs de recherche pourraient aussi déréférencer TikTok. Les options ne manquent pas.
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