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L’UNESCO forme les enseignants à lutter contre l’antisémitisme et les discriminations à l’école

Une charge de travail importante, un manque de confiance en leurs propres connaissances et la peur font partie des obstacles communément rencontrés par les enseignants lorsqu’ils sont confrontés à l’antisémitisme en classe et en dehors de celle-ci. Certains pointent aussi la faible qualité de leur formation sur le sujet, quand ils en ont suivi une. Bien que le potentiel que renferme l’éducation pour s’attaquer aux causes profondes de la violence, de la haine et de la discrimination soit largement reconnu, il n’est toujours pas pleinement exploité.
Training educators to address antisemitism

Depuis avril 2023, l’UNESCO forme dans toute l’Union européenne des enseignants à mieux détecter, prévenir et lutter contre l’antisémitisme à l’école et en dehors. Nous nous sommes entretenus avec des enseignants et des directeurs d’école en Grèce, en Croatie et en France et leur avons demandé quels étaient selon eux les éléments essentiels d’une réponse efficace à cette menace croissante. Voici les neuf points qu’ils ont identifiés. 

1. Étudier l’antisémitisme de manière continue

« Les écoles devraient aborder l’antisémitisme de manière continue, pas seulement lorsqu’un drame survient », affirme Nina Karkovic, une directrice d’école croate. Ses collègues européens partagent cet avis et préconisent une approche multidisciplinaire ainsi que des politiques scolaires plus solides en matière de lutte contre la discrimination. 

Laurent Klein, un directeur d’école français, souligne que les enseignants doivent être formés à identifier les différentes formes de préjugés et d’intolérance. Il estime que l’antisémitisme, qui est une forme particulière de discrimination, doit être traité en tant que telle, c’est-à-dire de manière multidisciplinaire, avec différents groupes d’âge, toute l’année et pas seulement à certaines occasions ou pendant des journées spéciales. 

Il ajoute qu’une telle éducation peut commencer tôt, mais qu’elle doit être adaptée aux besoins des apprenants. « Avec des élèves plus jeunes, on peut par exemple discuter de la manière et des raisons pour lesquelles des personnes peuvent être rejetées. »

2. Réagir efficacement aux incidents

Le nombre d’actes antisémites en Europe a sensiblement augmenté ces dix dernières années. Ces actes vont de l’utilisation d’insultes ou de symboles antisémites à des violences, en passant par des menaces. « Les enfants n’ont souvent pas conscience de la gravité de leurs actions. Nous devons leur montrer que cela nous préoccupe », déclare Laurent Klein. Pour ce faire, les enseignants et les directeurs d’école devraient définir des attentes claires en matière de respect mutuel. Cela suppose d’adopter une politique de tolérance zéro pour ce type d’incidents et d’appliquer des mesures cohérentes pour soutenir les victimes potentielles et nouer un dialogue constructif avec les auteurs d’actes antisémites.

Nina Karkovic souligne que les enseignants peuvent avoir besoin de conseils et de soutien supplémentaires pour faire face aux incidents antisémites : « À l’heure actuelle, les écoles ont des lignes directrices concernant les mesures disciplinaires à adopter en réponse aux mauvais comportements des élèves en fonction de la gravité de l’incident. Il serait utile d’avoir un document similaire indiquant comment réagir aux incidents antisémites. »

Loranda Miletic, de Croatie, ajoute qu’il y a un réel besoin de ressources de qualité telles que des plans de cours, des orientations et des recommandations, assortis de scénarios couvrant les différentes situations que les enseignants peuvent rencontrer au travail ainsi que d’études de cas et d’exemples de bonnes pratiques. L’UNESCO aide les ministères nationaux responsables de l’éducation à concevoir ce genre d’outils, qui peuvent ensuite être adaptés aux besoins spécifiques de chaque école. 

3. Enseigner la vie et la culture juives avant, pendant et après l’Holocauste

Pour lutter efficacement contre l’antisémitisme, les enseignants devraient aussi fournir à leurs élèves des informations exactes sur le peuple juif et sa culture ainsi que les processus complexes qui ont mené aux violences et au génocide. Niki Tsiaousi, professeure d’histoire au Gymnasium (collège) n2 de Kalamariá, dans le district de Thessalonique en Grèce, souligne qu’enseigner la vie et la culture juives non seulement pendant l’Holocauste, mais aussi avant et après, peut aider à lutter contre les préjugés et la discrimination. Elle pense que les enseignants devraient étudier les facteurs économiques, sociaux et politiques qui peuvent favoriser l’émergence de croyances antisémites, sans pour autant excuser la haine. 

4. Faire preuve d’empathie

Anastasios Makrogiannopoulos, professeur de théologie et d’histoire et directeur du Gymnasium (collège) de Katsikas dans le district d’Ioánnina en Grèce, encourage les enseignants à essayer de comprendre le point de vue des élèves avant de les pousser à avoir une réflexion critique sur les stéréotypes et les préjugés. Selon lui, l’ignorance est souvent à l’origine des actes antisémites. 

Laurent Klein ajoute que les élèves peuvent avoir des avis différents sur les sujets abordés dans le programme d’enseignement national obligatoire et que les enseignants devraient prendre cela en considération pour trouver une approche empathique et éthique. « Nous devons penser aux enfants que nous accueillons. Ils sont tous différents, et nous devons en être conscients et faire preuve de prudence dans la manière dont nous abordons le contenu que nous devons couvrir avec eux. »

5. Poser des questions

Une bonne manière de favoriser un dialogue bienveillant et mesuré, dans le cadre duquel les élèves se sentent autorisés à remettre en question les préjugés et à exprimer leur confusion plutôt que de rester silencieux, est de poser des questions et d’adopter différents points de vue. Cette approche permet d’instaurer une distance raisonnable entre les personnes et leurs opinions pour pouvoir discuter calmement du contexte sans pour autant le négliger. Dans le même temps, les enseignants soulignent que ces discussions devraient mettre en lumière le contexte historique et les schémas qui sous-tendent les événements actuels afin d’éviter de donner des réponses simples à des questions complexes. 

« Les écoles ne sont pas séparées de la société dans laquelle elles sont construites. Lorsque de graves actes antisémites ont été commis en 2015, nous en avons discuté avec nos élèves. Nous ne pouvons pas ignorer ce qui se passe dans le monde, au-delà de l’enceinte de l’école », explique Laurent Klein.

Niki Tsiaousi invite aussi les enseignants à compléter leurs leçons de ressources qui permettent aux élèves de poser eux-mêmes des questions, telles que des vidéos d’archive et des statistiques provenant de différentes sources.

6. Faire participer les jeunes sur un pied d’égalité

Aborder en classe des événements qui ont eu lieu dans un passé ou un lieu lointain peut être très difficile. Pour faire comprendre l’importance de ce genre de sujets et aider les élèves à se sentir concernés par le sujet, Nina Karkovic souligne l’importance de faire participer de manière concrète les jeunes. Elle cite en exemple de bonne pratique l’exposition Anne Frank qui a tourné en Croatie, dans laquelle les élèves jouaient un rôle actif en devenant eux-mêmes les guides chargés de faire visiter l’exposition à leurs camarades.

En France, le programme CoExist réunit des médiateurs de différentes origines pour discuter du racisme, de l’antisémitisme et de la discrimination avec les jeunes. Menées par de jeunes adultes, ces discussions suivent une méthode ludique et interactive pour encourager les élèves à réfléchir aux questions d’identité, d’égalité et de conflit.

7. Promouvoir le dialogue interculturel et interconfessionnel

Bien que les écoles rassemblent des élèves de tous milieux et aux origines très diverses, les enseignants soulignent que le respect de la diversité n’est pas inné. Il doit être encouragé par la création d’espaces de dialogue et la célébration des spécificités de chacun. D’après Nina Karkovic, une bonne manière de faire cela est d’organiser des visites dans différentes communautés religieuses et d’inviter les représentants de celles-ci à intervenir à l’école. 

Laurent Klein cite également les visites scolaires de différents lieux de culte comme un moyen concret de lutter contre l’antisémitisme et d’autres formes d’intolérance et de discrimination : « En France, on peut enseigner les religions comme des phénomènes culturels en les étudiant à travers l’art, la littérature, l’architecture, les modes de vie. Avoir un point de vue neutre sur toutes les religions permet d’élargir ses horizons. Lorsque nous visitons des églises, des temples hindous, des mosquées et des synagogues, et même parfois que nous étudions des textes religieux, les élèves peuvent les comparer et voir les liens entre les cultures et les religions. Ils se rendent compte que nous faisons tous partie de la même humanité. »

8. Remettre en question ses propres biais

Anastasios Makrogiannopoulos estime que l’éducation à la lutte contre les biais et les préjugés n’a de sens que si les enseignants mettent eux-mêmes en pratique ce qu’ils enseignent : « En tant qu’enseignants, nous luttons parfois avec notre passé et nous pouvons ne pas être assez éduqués ou cultivés pour réagir correctement aux incidents antisémites survenant à l’école. » Sa collège Niki Tsiaousi ajoute que les enseignants ne sont pas immunisés contre la désinformation et qu’ils peuvent eux-mêmes avoir des préjugés. Dans ce contexte, il peut leur être difficile de remettre directement en question leurs propres biais. Cependant, créer des plateformes d’échange collaboratives dans le cadre desquelles les enseignants peuvent discuter de leur expérience et de leurs difficultés serait un bon début. 

Loranda Miletic mentionne ainsi des communautés de pratique qui fonctionnent bien, comme le dialogue Adriatique (qui réunit des enseignants d’Italie, de Slovénie et de Croatie) ou le dialogue des Balkans (qui rassemble des enseignants de Croatie, de Serbie, de Bosnie-Herzégovine et des pays voisins). Dans les deux cas, les participants utilisent l’Holocauste comme point de départ de leurs discussions. Cela leur donne la possibilité d’explorer les biais et les difficultés qu’ils rencontrent et ainsi trouver leur propre voix. 

9. Nouer des partenariats en dehors des salles de classe

Encourager la coopération entre les écoles et les familles, les groupes religieux, les acteurs et les activistes locaux est un élément essentiel de la lutte contre l’antisémitisme, l’intolérance et la discrimination. Des écoles en Croatie ont par exemple collaboré avec des cinéastes pour organiser une projection du film Museum of the Revolution, suivie d’un débat public sur les discriminations contre les Roms en présence du vice-président d’une organisation de jeunes Roms.

De même, avec le projet European Herstories, des élèves de toute la Grèce découvrent les multiples facettes de l’histoire des femmes juives au XXe siècle en Europe en visitant le Musée juif de Grèce. Ses ressources aident les jeunes à aborder l’histoire juive et l’antisémitisme à travers le prisme du genre.