Le choix des larmes
Dans sa chronique « Soit dit en passant », publiée dans La Croix L’Hebdo du jeudi 9 janvier, Joséphine Lebard revient sur sa rencontre avec une inconnue en pleurs dans un bus.
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Elle pleure dans le bus. Et elle pleure bruyamment. Elle se masse les côtes en répétant « J’ai mal, j’ai mal… » Sa plainte emplit l’habitacle et plusieurs voyageurs se regardent, démunis, ne sachant que faire. Faut-il intervenir ou pas ? C’est toujours déconcertant de voir quelqu’un pleurer en public. Un jeune homme lui demande : « Ça va, madame ? » Entre deux sanglots, elle répond « Non ».
Je m’approche d’elle. Lui demande ce qui lui arrive. Elle me dit qu’elle souffre énormément du dos. Qu’elle a appelé SOS Médecins mais qu’ils ne se déplacent pas en Seine-Saint-Denis. Qu’elle a trouvé un centre de santé, ouvert le dimanche soir, qu’elle espère arriver à temps. Je lui suggère d’aller plutôt aux urgences. Elle se cabre, ses pleurs deviennent rageurs.
Les urgences, pas question ! Il y a trop de monde, les médecins sont épuisés, ça les rend incompétents. La dernière fois, ils ont posé un mauvais diagnostic. Douchée par sa colère et aussi par ce jugement que je trouve injuste sur l’hôpital, je réplique un peu durement que c’est elle qui sait ce qui est le mieux pour elle. Et je me rassieds.
Sur son visage, les larmes continuent de couler. M’en voulant de ma réaction, je retourne finalement la voir. Est-ce qu’elle a de la fièvre ? Non, mais ce mal de dos la tue, me dit-elle. Et elle ne peut pas se faire arrêter. Elle perdrait 300 € par mois, elle a calculé et ça, elle ne peut pas se le permettre. Elle le répète plusieurs fois : « Je ne peux pas me le permettre… » Dans ma tête, je me dis que cette femme en a peut-être tout simplement « plein le dos » et que sa douleur est l’expression de sa situation précaire.
J’hésite à lui proposer de l’accompagner. Mais, avec moi, il y a mon fils à qui j’ai promis d’aller au cinéma. Égoïstement, je n’ai pas envie de sacrifier ce moment privilégié avec mon garçon. D’autant que mon empathie s’abîme sur le mur qu’elle m’oppose. Je ne parviens pas à créer du lien. Elle descend à l’arrêt suivant, toujours en se tenant les côtes. Nous nous rendons au cinéma avec mon fils. Nous allons voir Here, le dernier film de Robert Zemeckis. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais je me fais cueillir par son évocation de la vie qui file, des chemins qu’on décide de suivre ou pas. Et me voilà qui renifle, tout en sentant des traînées liquides couler le long de mes joues.
Soudain, une chaleur enrobe ma main qui repose sur l’accoudoir. C’est celle de mon fils qui vient de s’y poser. Il ne dit rien, garde le visage tourné vers l’écran. Mais, d’une légère pression, il me fait comprendre qu’il entend ce qui me traverse. Il ne le comprend pas forcément (heureusement qu’à 15 ans, on n’est pas encore trop conscient de la brièveté de l’existence !) mais il prend acte de ce qui me bouleverse. Je repense à la femme du bus et je me dis alors qu’une main sur l’épaule aurait peut-être eu plus de sens que mes mots maladroits. Et, silencieusement, je remercie mon fils de la leçon qu’il me donne : apprendre à accueillir les larmes.
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