Voilà ce qui arrive quand, au lieu de travailler, on procrastine sur les réseaux… Scrollant allègrement sur mon téléphone, je me laisse happer par une vidéo publicitaire d’un site Web de coaching dispensé par des artistes. Le comédien François Berléand peut ainsi vous aider à « développer un jeu d’acteur singulier et incomparable ». Avec Patrick Bruel, on peut même carrément « développer tous ses talents artistiques ». Mazette… Mais revenons à la pub.

Dans un couloir d’un blanc immaculé, un homme, moustaches et costume trois pièces, s’avance vers nous : «Bonjour, je suis Stefan Zweig et je vous propose de participer à ma toute première master class (…) Pour la première fois au monde, je reviens pour vous accompagner dans votre ambition d’écrire enfin votre propre roman. » Ah ben ça alors… Stefan Zweig qui ressuscite pour m’aider à écrire mon prochain livre… D’autant qu’il revient en bonne compagnie : Stefan m’apprend en effet que Kafka et Flaubert sont aussi disponibles pour me donner un petit coup de pouce !

Évidemment, la vidéo est réalisée à partir d’une intelligence artificielle (IA). Et il faut bien avouer que le résultat visuel est assez bluffant. Alors certes, Stefan Zweig parle un français si parfait qu’on pourrait croire qu’il est né à Châteauroux et pas à Vienne. Il pousse même le vice jusqu’à prononcer son prénom à la française et non pas « Chtéfane », à l’allemande. L’authenticité en prend forcément un coup. Idem pour Kafka, qui n’a pas une pointe d’accent. Attention toutefois, je crois avoir décelé une faute de syntaxe dans sa présentation (pour un écrivain, vous admettrez que c’est ballot). Je ne peux malheureusement le vérifier car il semblerait que le site ait retiré du Web l’ensemble des vidéos (j’avais pris soin d’enregistrer celle de Zweig sur mon téléphone).

Quant aux formations, ne me demandez pas en quoi elles consistent. Quand j’ai voulu m’en enquérir, j’ai été renvoyée vers… une page vide. J’imagine que le tollé suscité par cette utilisation commerciale d’écrivains mythiques et les nombreux commentaires outrés qui ont rapidement déferlé n’y sont pas pour rien. Sans oublier les circonstances de la mort de Zweig – que la situation mondiale accule au suicide en 1942 –, qui ne font qu’accentuer le mauvais goût de cette démarche.

À l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais pas si le site va rétablir ou annuler définitivement ces master class. Et peut-être s’agit-il seulement de reculer pour mieux sauter. Dans quelques mois, quelques années, d’autres se glisseront dans la brèche. Après tout, cette utilisation de l’IA ouvrirait la porte à un nombre considérable de formations plus passionnantes les unes que les autres… Par exemple « Christian Dior vous dévoile les secrets d’un ourlet impeccable » ou « Ettore Bugatti vous révèle les mystères du joint de culasse ». Pourquoi pas un petit tuto YouTube de Louis XIV sur « Comment bricoler sa maison de prestige sur des marais » ? Ou les astuces de l’Homo sapiens pour réussir parfaitement son barbecue du dimanche ? D’ici là, je méditerai sur le fait que les algorithmes estiment que j’ai visiblement besoin d’aide pour améliorer mon écriture. Une belle leçon d’humilité, et gratuite en plus !