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Comment la science des sols protège la sécurité humaine

Le sol est précieux, mais étonnamment fragile. Il y a quelques années, Luc Gnacadja, secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, observait dans un discours qui établissait un parallèle entre la sécurité des sols et la sécurité humaine : « Quelque 18 à 25 cm de terres arables sont tout ce qui nous sépare de l'extinction ». L'UNESCO organise une conférence à Agadir, au Maroc, le 1er juillet, qui mettra en lumière l'importance du sol pour le développement durable et présentera les mesures prises par l'UNESCO pour protéger cette ressource vitale.
Sampling soil at a Chilean vineyard, in the context of IGCP project 765

Le sol produit plus de 95 % des aliments que nous consommons.  Nous en dépendons pour notre alimentation et nos vêtements, mais il est bien plus qu’une usine naturelle. D'une part, il constitue un important puits de carbone, contribuant ainsi à atténuer le changement climatique. Le sol joue également un rôle de purificateur d'eau, ses grains fins filtrant les polluants avant qu'ils ne s'infiltrent sous terre dans la nappe phréatique, lors d’un processus de filtration naturel qui contribue à garantir que les eaux souterraines sont parmi les plus pures de la planète.

Le sol joue également un rôle essentiel dans le maintien de la biodiversité. Non seulement il contribue à nourrir des environnements tels que les forêts tropicales luxuriantes et les plantes et animaux qui y vivent, mais le sol lui-même constitue un véritable écosystème qui abrite des vers de terre, des fourmis et d'autres insectes, ainsi qu'une multitude d'organismes trop petits pour être vus à l'œil nu, tels que les bactéries, les champignons et les algues. Chiffre incroyable : une cuillère à café de sol sain peut contenir entre 100 millions et 1 milliard de bactéries[i]. Ces micro-organismes contribuent à maintenir le sol en bonne santé et, lorsqu'ils meurent, sont stockés dans le sol sous forme de carbone organique, un engrais naturel.

Des sols sains seront essentiels pour la sécurité humaine future. Comme l'a rappelé en mars dernier Sunshine de Caires, lauréate du prix L'Oréal-UNESCO pour les femmes et la science décerné aux jeunes talents des Caraïbes, « avec l'évolution des températures et des précipitations [corollaire du changement climatique], le sol peut subir des altérations de la disponibilité des nutriments, de la structure et de l'activité microbienne. Il est essentiel de comprendre ces changements pour adapter les pratiques agricoles afin de maintenir la productivité des sols et d'assurer une production alimentaire durable ».

Les sciences du sol « jouent un rôle crucial dans l'atténuation de l’impact du changement climatique sur la production et le rendement des cultures », ajoute-t-elle, notamment en « sélectionnant des variétés de cultures résistantes au climat, en mettant en œuvre des techniques d'irrigation économes en eau et en adoptant des mesures de conservation des sols afin d'accroître durablement la production alimentaire ».

Dans le cadre du Programme international de géosciences (PICG), l'UNESCO réunit depuis 50 ans des géoscientifiques du monde entier autour de l'étude du sol et d'autres sujets de recherche. Trois projets récents explorent la manière de préserver les terres noires hautement fertiles, analysent l'influence des sols de montagne sur la santé des communautés qui y vivent et étudient le rôle que joue le sol dans le stockage du carbone.

Un moyen d'estimer la qualité des terres noires sans les toucher

L'un de ces projets a été mis en œuvre entre 2019 et 2023 (projet PICG 665). Il a étudié les terres noires, ainsi nommées parce qu'elles sont riches en carbone organique (c'est le cas également du charbon), ce qui leur confie cette noirceur. Les terres noires présentent un intérêt scientifique et sociétal particulier car leur forte teneur en carbone organique les rend extrêmement fertiles. Bien qu'elles ne couvrent que 5 % des terres de la planète, elles produisent plus de 60 % des graines de tournesol et plus de 25 % des récoltes de blé et de pommes de terre. Quand on sait qu'il faut environ 1 000 ans pour qu'une couche de 1 cm de sol se forme, on comprend aisément l'importance de savoir comment les terres noires se forment et évoluent dans le temps, ainsi que la manière de les utiliser sans les endommager.

Les scientifiques qui travaillent sur ce projet viennent d'Afghanistan, d'Argentine, d'Australie, du Canada, de Tchéquie, de Grèce, de Chine, de la Fédération de Russie, d'Ukraine, du Royaume-Uni et des États-Unis. Ils ont créé un modèle qui utilise des données de télédétection par satellite pour estimer la qualité des terres noires avec une précision de 72 % ! Les décideurs politiques et les services gouvernementaux pourront désormais utiliser ces données pour concevoir des mesures de protection et de restauration de ces remarquables terres noires.

 

Scientists sampling black soils in China
Scientists sampling black soils in China

Quand le sol est le principal suspect dans une maladie invalidante

Un deuxième projet analyse depuis trois ans les sols très fertiles de la région du Mont Nyiragongo, un volcan actif dans l'ouest du Rwanda. Malheureusement, ces sols fertiles sont également soupçonnés d'être à l'origine d'une maladie invalidante. Les communautés de cette région souffrent d'une podoconiose très répandue, un gonflement des membres inférieurs pour lequel il n'existe aucun traitement. Bien que l'on considère généralement que la podoconiose résulte de l'exposition à long terme des pieds nus aux sols volcaniques, il n'existe pas de preuves scientifiques solides pour étayer cette conclusion.

Ce projet scientifique vise à fournir des preuves solides. Depuis 2021, une équipe de chercheurs belges, français, italiens et rwandais (projet 767 du PICG) cartographie les sols de la région afin de comprendre la relation entre la chimie et la minéralogie des sols locaux, d'une part, et l'incidence des "points chauds" de la podoconiose, d'autre part.

Bien que ce projet se concentre sur l'ouest du Rwanda, la podoconiose est également présente dans d'autres régions montagneuses d'Afrique, ainsi que dans l'Himalaya en Inde et dans les Andes tropicales en Amérique centrale. On estime que la podoconiose touche quatre millions de personnes dans le monde, ce qui en fait un problème mondial.

Members of the E-DOOR Project (IGCP project 767) carrying out a soil survey
Scientists carrying out a soil survey in Rwanda as part of IGCP project 767

Trouver un meilleur moyen de mesurer la quantité de carbone qui peut être stockée par le sol

Le sol constitue un vaste réservoir de carbone, ce qui le rend important non seulement pour la production alimentaire, mais aussi pour le ralentissement du changement climatique. Les plantes séquestrent le carbone en éliminant le dioxyde de carbone de l'atmosphère et en le stockant dans le réservoir de carbone organique du sol, lui-même constitué d'organismes morts y ayant vécu autrefois.

Ce projet de recherche quinquennal (projet PICG 765), qui a démarré en 2022, vise à améliorer la quantité, la qualité et l'accessibilité des données sur le carbone du sol. L'équipe de scientifiques de ce projet vient du Chili, de la République populaire démocratique de Corée, de la République démocratique du Congo, du Mexique, de la République de Corée et de la République du Congo. En 2023, ils ont mis au point un premier cours de formation à la cartographie numérique des sols pour les communautés hispanophones. Jusqu'à présent, ils ont créé plus de 120 heures de contenu pour ce cours, qui a déjà été suivi par environ 130 scientifiques des secteurs universitaire, public et privé dans toute l'Amérique latine.

L'objectif à long terme du projet est d’harmoniser la manière dont la séquestration du carbone dans le sol est mesurée et de minimiser les incertitudes dans les estimations du carbone organique du sol, aussi bien à l'échelle nationale que mondiale. Cela devrait non seulement améliorer notre compréhension scientifique du changement climatique, mais aussi contribuer à l'élaboration des politiques futures.

Des experts se réunissent pour discuter du rôle des sols dans le développement durable

La conférence de l'UNESCO, « Enracinés dans la résilience : découvrir l'importance du sol dans le développement durable », aura lieu juste avant une réunion du Conseil international de coordination du programme de l'UNESCO sur l'Homme et la biosphère, qui se tiendra du 2 au 5 juillet. Au cours de cette conférence, des experts du monde entier discuteront du rôle que jouent les sols dans l'agriculture, la biodiversité et la gestion de l'eau et des paysages, ainsi que de questions liées à l'éducation.

Sources: