En finir avec la Tyrannie du Mérite

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Nous autres, Français, adulons l’ascenseur social promis par notre République Laïque. Michael J. Sandel, professeur de philosophie à Harvard vient de publier "La tyrannie du mérite". Un ouvrage qui pointe les dangers de la méritocratie. A la différence de l'aristocratie, oui, elle permet l'ascenseur social. Mais en réalité, vu que nous ne naissons pas tous avec les mêmes "dons", elle exacerbe encore plus le plafond de verre auquel se cognent ceux qui n’arrivent pas à « progresser » aussi vite que ce que ce que l’espace de liberté leur promet. Cet idéal de méritocratie promis par la démocratie et la liberté des citoyens, en vérité est fondamentalement faussé. Conséquence : une frustration qui alimente les protestations populistes et la polarisation des extrêmes, suscitées par des décennies d'inégalité croissante, et une mondialisation qui ne profite qu'aux élites tout en donnant aux citoyens ordinaires le sentiment d'être démunis.

Michael J. Sandel rappelle qu'il est plus que jamais nécessaire de revoir notre position vis-à-vis du succès et de l'échec, en prenant davantage en compte la part de chance qui intervient dans toutes les affaires humaines et en prônant une éthique de l'humilité plus favorable au bien commun.

Je pense aussi qu’il est parfaitement possible de retisser les liens sociaux délités sous l'effet de cette « tyrannie du mérite ».

L’art et la manière d’aborder le travail, la formation, le rôle de l’apprenant et du formateur sont fondamentaux. Ils sont pour moi les meilleurs vecteurs d’un possible changement de paradigme. Qui permettrait d’en finir avec la méritocratie pour renouer avec la solidarité, pour réaliser aussi combien nous sommes dépendants les uns les autres.

Pour en savoir plus, je vous invite à lire ces extraits d’interview de Michael J. Sander que j’ai compilé de mes lectures.(extraits d’interview par Marie Boëton, La Croix l’Hebdo et Charles Perragin, Philosophie Magazine).

 

Vous analysez la montée du populisme comme une conséquence de la « tyrannie du mérite ». Que reprochez-vous à la méritocratie ?

 Michael J. Sandel : La méritocratie constitue, évidemment, une alternative enviable au régime aristocratique d'antan. Mais elle aune face sombre. Elle requiert une mise à égalité préalable des chances entre les privilégiés et les désavantagés qu'il a est quasi impossible de mettre en œuvre. Car si chacun a la possibilité de se hisser en haut de l'échelle, la distance entre les barreaux n'est pas la même pour tous... Mais ma critique va plus loin, portant sur le cœur même de la méritocratie : elle pose en effet que ceux qui réussissent sont les plus talentueux, qu'ils méritent leur succès ; les moins fortunés, eux, sont perçus comme ayant manqué de talent, n'ayant pas assez travaillé et ils n'ont donc qu'à s'en prendre à eux-mêmes. Le ressentiment qui en découle explique, en partie, le mouvement populiste actuel. 

Vous associez les mouvements de protestation en Europe et aux États-Unis à une crise de l’estime sociale. Pouvez-vous développer ?

Michael J. Sandel : Le ressentiment des classes moyennes et laborieuses à l’égard des élites est alimenté par l’idéologie de la méritocratie. À mesure que les inégalités ont augmenté ces quarante dernières années, les gagnants de la globalisation néolibérale se sont mis à croire que leur réussite était le fruit de leur seul travail, que ce qu’ils gagnaient était à la mesure de leur mérite et, par symétrie, que les plus précaires devaient aussi mériter leur destin. Si vous êtes pauvre, c’est que vous méritez peu. Non seulement votre salaire est bloqué mais en plus, c’est de votre faute. L’hubris méritocratique d’un côté et un sentiment d’humiliation et d’impuissance pour ceux qui sont en bas de l’échelle sociale.

À vous lire, le mérite serait mélange de talent et d'effort. Or, pour vous, nous ne sommes pas « propriétaires » de nos talents. C'est-à-dire ?

Michael J. Sandel : Ils ne dépendent pas de nous en effet. Prenez Usain Boit, le sprinter multi-médaillé : il s'entraîne d'arrache-pied, bien sûr, mais il jouit aussi de capacités hors norme. Il a par ailleurs la chance que ses dons (athlétiques, en l'espèce) soient valorisés par la société actuelle. En Italie, à la Renaissance, on ne cherchait pas de sportifs de haut niveau, mais des peintres de fresques... La reconnaissance provenant de ses dons tient, en partie, au hasard.

 Soit, mais le mérite comprend une part de labeur qui, lui, dépend de nous...

Michael J. Sandel : C'est vrai ! Je reste d'ailleurs très attaché à la responsabilité individuelle. Tout doit être fait pour inciter ceux qui ont des talents à les développer. La société a tout à gagner I à ce que certains deviennent chirurgiens, par exemple. Ces derniers, c'est vrai, ont beaucoup travaillé pour en arriver là et doivent pouvoir jouir des gratifications qui vont avec. Simplement, le fait que nous ne soyons pas « propriétaires » de nos dons justifie que les bénéfices générés par ces mêmes dons soient, en partie, redistribués. 

Vous appelez à un nouveau contrat social centré sur la dignité du travail et valorisant la participation au bien commun.

Michael J. Sandel : La méritocratie est corrosive pour le bien commun en ce qu'elle dévalorise les non-diplômés et sape donc la dignité du travail. En 1968, Luther King avait soutenu la grève des éboueurs du Tennessee en rappelant que leur travail était aussi important que celui des médecins car, s'ils ne le faisaient pas correctement, la population risquait de tomber malade. C'est un argument fondé sur la justice (le fait de mériter un salaire décent) mais aussi fondé sur le bien commun (leur contribution au bien-être de tous). Cette réflexion vaut pour tous ces professionnels dont nous nous sommes découverts dépendants lors de la pandémie. La valorisation de ces travailleurs essentiels ne doit plus dépendre du verdict du marché.

 Le marché ne peut dire ce que « vaut » un métier, c'est cela ?

 Michael J. Sandel : Oui. Aujourd'hui, la loi du marché fait qu'un spécialiste du trading haute fréquence gagne plus qu'un médecin ou qu'un dealer vit mieux qu'un enseignant, c'est aberrant ! Nous avons besoin d'une délibération sur les fins de la vie commune (une existence épanouissante et digne) afin de réévaluer les contributions de chacun à ces fins. Débattons-en publiquement, et régulièrement, au Parlement, en entreprise, dans les syndicats, dans les facs, etc. Il y aura des désaccords, c'est inéluctable, mais ce sera préférable à ce qui se fait aujourd'hui.

Vous appelez à un « tournant spirituel », ce sont des mots très forts...

 Michael J. Sandel : Oui, un tournant moral à tout le moins. Et, oui... quasi spirituel. Dans une lettre encyclique sur « le travail humain », en 1981, Jean-Paul II affirmait que « l'homme voit dans son travail un moyen d'accroître le bien commun élaboré avec ses compatriotes (...) en prenant conscience que le travail sert à multiplier le patrimoine de toute la famille humaine ».

Vous critiquez le rôle-clé joué par les diplômes du supérieur. Pourquoi ?

 Michael J. Sandel : L'enseignement supérieur promet la mobilité par le mérite mais pérennise, en réalité, le privilège. Aux États-Unis, si vous êtes issu d'une famille riche, vous avez 77 fois plus de chances d'être admis dans une université de la Ivy League (les campus américains les plus prestigieux, NLDR) que les enfants issus d'une famille pauvre. Le diplôme supérieur est un grand diviseur social, permettant aux « gagnants » de considérer qu'ils méritent leur chance quand les autres n'auraient à s'en prendre qu'à eux-mêmes ! Ici, comme en Europe, un tiers de la population a un diplôme du supérieur. Conditionner la reconnaissance sociale à l'obtention de ce sésame revient, de fait, à bafouer le respect dû à la majorité de nos concitoyens.

Vous montrez, chiffres à l'appui, combien la mobilité sociale est un leurre. Soit, mais l'acter aussi définitivement n'est-il pas problématique ? Car sur quoi fonder, demain, les politiques sociales en faveur des défavorisés ? La méritocratie est peut-être une fiction, mais n'est-ce pas une fiction nécessaire ?

Michael J. Sandel : Nous devons continuer à financer de vraies politiques d'égalité des chances, ne serait-ce qu'au nom de la dignité due à chacun. Et, en parallèle, promouvoir une société dans laquelle il ne faille plus forcément être diplômé pour acquérir une estime sociale, mener une vie décente et subvenir aux besoins des siens. Une société où l'on valorise l'apport de chacun au bien commun. Plus généreuse, cette société serait aussi, in fine, beaucoup moins polarisée.

Laurent GARCIA

Innovation Builder | PM | CPTO | GM - MBA/MS

10 mois

L ascenseur fonctionne, juste il descend.

FARID KHALDI

Currently : Bus and Truck driver | Bilingual 🇫🇷🏴󠁧󠁢󠁥󠁮󠁧󠁿 | En Camion et SPL | All types of trailers | Flatbed, Reefer and Oversize/Overload 🧰 | Et autobus /autocar 🚷| depuis 13 ans

1 ans

Women stronger than men mentally

Mylène Maizières

Legal manager, DPO, consultant, and organic farm owner

3 ans

Merci pour cette publication. La méritocratie est un concept à considérer effectivement avec vigilance. Il était d'ailleurs inscrit "Jedem das Seine" (traduit par : "à chacun selon son mérite" ou "à chacun son dû") à l'entrée du camp de Buchenwald...

armand reynaud

Responsable De projet d'implantation

3 ans

En France il n'y a pas d'ascenseur social, ni autres possibilités de réussir que par la persévérance, le nivellement par le bas pour les diplômes en est la meilleure preuve. De plus beaucoup de ceux qui demande la fin de la méritocratie, ( j'en fais partie) doivent si ils veulent être entendus montrer leurs capacités au même titre que ceux qui de part leurs compétences tentent de créer, que ce soit artisans commerçants ou entrepreneurs, tous sont jalousés par ceux qui n'ont d'autres but que de critiqués, demander. profiter, et dire que c'est le règne de la méritocratie....CQFD

Pour paraphraser le fameux commentaire de Churchill sur la démocratie, la méritocratie est le pire des systèmes à l'exception de tous les autres On imagine les dégats d'une armée commandée non pas par les meilleurs mais par un soldat "moyen". C'était le cas du temps des Monarchies et Austerlitz a été un cas d'école. Je préfère un Président de la République ou un PDG sélectionné sur le critère du mérite que par une loterie, un droit du sang ou tout autre méthode. Ca ne signifie pas qu'il faille réfléchir à améliorer notre ascenseur social très abimé.

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