Un modèle révolutionnaire venu d'Haier : le modèle RenDanHeYi

Un modèle révolutionnaire venu d'Haier : le modèle RenDanHeYi

Dans l’article précédent, nous parlions des différentes transformations de la société Haier de 1984 jusqu’à 2012. La 4ème et avant-dernière transformation a préparé le terrain pour celle qui va être révolutionnaire.

Pour mémoire, Haier est une entreprise chinoise d’électroménager qui était au plus mal en 1984 lorsque Zhang RUIMIN, PDG charismatique et visionnaire, décide de la reprendre pour en faire une entreprise à succès et dynamique.

Pour reprendre succinctement la 4ème transformation où nous nous étions arrêtés, Zhang décide de casser la pyramide organisationnelle et de fonctionner en réseau d’équipes.

Dès lors, il divise l’entreprise en 2000 unités autonomes pour pousser les employés à innover et à penser comme des entrepreneurs. Au sein de chaque unité, chaque membre peut proposer un nouveau produit ou service. Les ouvriers, fournisseurs et clients votent pour les propositions les plus prometteuses et ces dernières peuvent créer des nouvelles unités. Celui ou celle à l’origine de l’idée prend la tête de la nouvelle unité. N’importe quel employé peut rejoindre l’unité s’il ou elle s’estime pouvoir contribuer au Projet.

2012, l’année de la révolution

Aucun texte alternatif pour cette image

A partir de 2012, l’entreprise met en place une révolution en créant son propre modèle que le CEO désigne par RenDanHeYi. L'entreprise transforme les unités décrites plus haut en micro-entreprises pour sortir de la bureaucratie et de l’immobilisme engendré.

RenDanHeYi est un assemblage de caractères chinois qui reflète un lien étroit entre la valeur créée pour les clients et celle dont bénéficient les salariés.

C’est un changement drastique qui a eu des effets massifs comme la suppression de 12 000 postes de cadres intermédiaires et transforment les 2000 unités en 4000 micro-entreprises autonomes.

Je trouve que cela relève du génie et vous allez voir pourquoi !

Du mode classique à l’autonomisation

On passe d’une entreprise on ne peut plus classique à des entités séparées qui doivent travailler ensemble mais qui font comme elles veulent.

La plupart des micro-entreprises comptent 10 à 15 salariés et les salariés sont appelés désormais des « entrepreneurs ». Certaines micro-entreprises, liées à la production, peuvent avoir 200 personnes dans leur unité mais ce sont des exceptions.

Il existe 3 types de micro-entreprises :

1.      Environ 200 Micro-entreprises sont appelées Transformatives : ce sont des unités qui sont directement confrontées au Marché et en lien direct avec les activités historiques de Haier. Elles ont pour particularité d’être centrées sur le Client et d’adopter les nouveaux moyens technologiques pour se développer.

2.      Ensuite, il y a plus de 50 micro-entreprises qu’on dit « en incubation ». Ce sont des micro-entreprises qui développent des activités totalement nouvelles. Ce sont des start-ups autrement dit.

3.      Enfin, il y a 3800 micro-entreprises qui sont appelés des « nodules ». Les nodules sont des entreprises qui vendent des composants et des services comme la gestion des Ressources Humaines ou la Production de pièces.

Chaque micro-entreprise est indépendante et a peu de contraintes imposées par la direction centrale. Elles partagent cependant la même approche pour définir des objectifs, se coordonner entre elles et organiser les prestations internes. Autrement dit, elles ont une même culture de travail et un langage commun pour fonctionner ensemble.

La force du dispositif repose sur l’abolition du monopole interne.

Exemple concret d'un recrutement

Imaginez que vous devez faire un recrutement pour un poste stratégique et que votre service RH n’y arrive pas, vous n’aurez  pas le choix que de devoir quand même composer avec.

Chez Haier, le niveau d’incompétence ou d’inefficacité se paie cash. Chaque Micro-entreprise est libre de choisir avec qui elle veut travailler, avec d’autres micro-entreprises internes ou bien avec des prestataires externes. Majoritairement, les micro-entreprises travaillent avec des nodules internes car des règles ont été fixées en amont sur le partage des marges et les niveaux minimaux de performance pour faciliter les négociations. Généralement, une micro-entreprise a des accords avec plusieurs dizaines de nodules.

Avec ces 3 types de micro-entreprises, les transformatives, les incubés et les nodules, il est possible de monter des Projets en piochant parmi la force de frappe de Haier.

Les raisons du succès

En créant ce modèle, chaque entité a un enjeu de survie, les mauvaises micro-entreprises font faillites donc elles n’ont pas le choix de jouer le jeu.

Un dirigeant de micro-entreprise raconte qu’au cours des 18 mois passés, il a remplacé plus d’une dizaine de nodules par d’autres fournisseurs. Les nodules qui ne sont pas compétitifs mettent la clé sous la porte car ils dépendent totalement des incubés et des transformatives.

Si leurs clients font défaut, ils se retrouvent en difficulté, il est donc vital que cela fonctionne. La médiocrité ne peut pas exister, il faut se mettre dans du haut niveau et il faut que tout le monde travaille main dans la main pour que ça fonctionne.

Cependant, la peur de tout perdre ne peut pas être le seul moteur. Pour que ça marche, il faut un socle commun, des processus partagés et un langage que tout le monde comprend, autrement dit un cadre et une culture en commun.

Donnons un exemple sur la gestion des investissements pour les technologies ou les équipements. Quand on travaille pour une grosse entreprise et qu’il n’y a plus de fournitures, il faut demander à un service dédié de commander. Je parle en connaissance de cause, c’est looooooong et fastidieux.

Dans une start-up, celui qui a besoin d’un stylo va demander autour de lui si d’autres ont des besoins et il commande pour tout le monde. C’est naturel dans une petite entreprise de se serrer les coudes et de chercher ensemble des solutions. Pourquoi ? Car dans une petite équipe, on compte les uns sur les autres et on partage nos responsabilités. C’est d’ailleurs pour ça que les micro-entreprises n’ont pas plus que 15 entrepreneurs. Plus l’entreprise grossit, plus les problèmes de coordination sont ardus.

La mise en place des plateformes

Haier, pour contourner ce problème majeur qu’est la coordination, a choisi d’organiser toutes les micro-entreprises en les regroupant au sein de plateformes, certaines regroupent les micro-entreprises dans des segments similaires, comme les produits audiovisuels ou les équipements de lavage, tandis que d’autres se concentrent sur le développement de nouvelles opportunités, comme le marketing digital ou la customisation de masse.

Une plateforme dédiée à un secteur comprend plus de 50 micro-entreprises. En fonctionnant par plateforme, les responsabilités sont partagées entre les micro-entreprises.

Par exemple, quand plusieurs micro-entreprises ont entendu dire que les produits intelligents Haier ne communiquaient pas entre eux, elles se sont réunies et ont conclu un « grand marché » selon lequel Xinchu, une start-up Haier qui produit des réfrigérateurs connectés, fournirait une plateforme logicielle commune pour les appareils connectés de l’entreprise, tandis que les autres micro-entreprises apporteraient leur contribution à travers des études clients et des technologies annexes.

Aujourd’hui, on parlerait « d’open innovation » pour parler d’un exemple de ce type.

La mise en place des objectifs

Sur un autre plan tout aussi important pour fixer une direction, la définition des objectifs est un point très intéressant et vraiment original !

On ne se base pas sur la performance de l’année passée pour dire « on va essayer d’aller plus loin cette année ». Pas du tout !

On va être très ambitieux en définissant les objectifs de l’extérieur vers l’intérieur, c’est-à-dire que chaque Micro-entreprise va fixer ses objectifs annuels en fonction de l’état du Marché.

Pour réaliser cela, il existe un service d’étude au siège de l’entreprise qui va analyser produit par produit, les statistiques des taux de croissance à travers le monde pour déterminer les cibles que les Micro-entreprises devront viser.

Ce ne sont pas des cibles subjectives mais objectives grâce à la data.

Après, ils ont poussé le vice très loin. Par exemple, pour les Micro-entreprises transformatives donc en lien direct avec les marchés, elles doivent augmenter leur chiffre d’affaires et leurs bénéfices de 4 à 10 fois plus que la moyenne du secteur. Plus le retard est important sur le marché, plus l’exigence sera là. Si vous êtes leader sur votre secteur, vous devez continuer à creuser l’écart.

Bien sûr, en fonction des circonstances, les cibles sont ajustées. Par exemple, il est clair que pour la crise du Covid, les cibles ont été retravaillées.

L’innovation au cœur de l’entreprise

Avec un PDG pareil, c’est sûr que l’innovation est au cœur de tout. 10% de la capitalisation boursière est investi dans les micro-entreprises incubées. C’est absolument énorme !

Les salariés sont invités à créer et à proposer des innovations, on les pousse à passer de salariés à associés en mettant en place des avantages notables comme la possibilité d’investir dans l’incubé ou des bonus. Avec des associés, l’engagement est bien plus important qu’avec des salariés et l’implication est maximale pour tester des nouveautés.

Il existe trois manières de lancer une nouvelle entreprise chez Haier.

Dans le premier cas de figure (le plus courant), un entrepreneur interne poste une idée en ligne et invite d’autres personnes à contribuer.

Deuxième cas de figure : le dirigeant d’une plateforme peut inviter des personnes, aussi bien en interne qu’en externe, à soumettre des propositions destinées à exploiter une opportunité.

Troisième possibilité : les entrepreneurs en puissance peuvent faire un pitch de présentation de leurs idées lors d’une des tournées que Haier effectue chaque mois à travers la Chine, et qui établit un lien entre les innovateurs locaux et les dirigeants de plateformes ou les membres de la plateforme d’investissement et d’innovation de Haier.

Chaque micro-entreprise en incubation est une entité légale distincte, financée en partie par l’équipe qui l’a fondée. Les dirigeants de Haier, conscients qu’ils ne sont pas nécessairement les mieux placés pour juger des mérites d’une idée nouvelle, exigent souvent de l’équipe d’une start-up qu’elle obtienne un financement extérieur auprès d’un des partenaires capital-risqueurs de l’entreprise avant d’accepter d’y injecter des ressources internes.

Au cours des dernières années, neuf nouvelles ME (Micro-Entreprise) sur 14 ont d’abord obtenu un investissement extérieur avant de recevoir de l’argent de Haier.

Comme toutes les autres unités au sein de Haier, les micro-entreprises en incubation concluent des contrats avec les nodules pour se développer comme on l’a longuement expliqué et roulée jeunesse !

Pour finir, un exemple concret, le cas Thunderobot

Aucun texte alternatif pour cette image

Un entrepreneur d’Haier a constaté sur plusieurs forums que les PC dans le gaming avaient pas mal de problèmes et il s’est dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire. Il a recensé 30 000 avis en ligne pour voir ce qui n’allait pas et il a monté une Micro-Entreprise pour adresser le sujet. Il a listé 13 problématiques et les a soumis sur une plateforme Haier en charge, entre autre, des ordinateurs portables. Pas emballée, la plateforme a consenti néanmoins à allouer 230 000 € pour financer le MVP du Projet.

L’entrepreneur a conçu avec une équipe et des partenaires un nouveau portable de gaming en seulement sept mois. Ils ont sorti un premier modèle à 500 exemplaires qui s’est vendu en cinq jours. Quelques semaines plus tard, ils sortent un deuxième lot de 3000 pièces qui s’est envolé en à peine 20 minutes. C’est la folie ! L’aventure est lancée, ils lèvent des fonds et participent au financement de l’entreprise qui, 3 ans plus tard, se retrouve côtée sur la bourse chinoise pour une valorisation au-delà de 150 millions d’euros.

Ça fait rêver !

Ma conclusion personnelle

Ce modèle est un modèle de start-up studio, d’une entreprise capable de générer des start-ups en se basant sur ses forces internes. C’est un sujet qui me travaille depuis le début de ma vie professionnelle et en 2018, cet article m'a enthousiasmé au plus haut point.

Voilà une entreprise qui a su grandir en prenant des risques de façon intelligente. C’est clairement inspirant pour ce que nous cherchons à construire au sein de Reboot.

Le seul point noir que j’identifie est ce principe de « marche ou crève » même si j’entends bien que c’est la loi du marché.

Par ailleurs, dans un contexte juridique français, je ne suis pas sûr que ce système puisse exister, il faudrait analyser en profondeur son adaptation.

Dans tous les cas, Haier respecte au moins deux principes de la culture Opale : L’autogouvernance et La raison d’être évolutive. Pour la plénitude, je n’ai pas d’avis car je ne connais pas les employés de l’entreprise.

Nathalie Adjedj

Psychologue clinique - Cabinet de psychologie Paris 17

2 ans

Génial. Système rousseauiste qui privilégie la responsabilisation, les systèmes à taille humaine dans lesquels chacun peut prendre la mesure des fruits de son travail.

Ahmed Zahri

Lead Architect at Reboot Conseil

2 ans

L'histoire d'Haier est passionnante. Les ramifications de cette dernière transformation donnent le vertige ! Ce mode de fonctionnement, favorisant l'entreprenariat, libère tout le monde, à mon avis. Il inverse, en quelque sorte, les rôles classiques en entreprises. Les salariés se retrouvent à l'origine des initiatives structurantes et du fait d'entreprendre et l'entreprise, que dis je, la structure, en rôle de soutien.

Philippe Didiergeorges

Cloud Solution Architect, AI Apps & Innovation @Microsoft

2 ans

La vérité est Haier 👽 (j’ai pas pu résister 😜)

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets