La Croix : Comment avez-vous reçu l’arrestation du militant Paul Watson au Groenland, dimanche 21 juillet, par les autorités danoises ?

Michel Forst : J’ai d’abord été surpris. Paul Watson est un militant historique, son arrestation porte un poids important. Mais au fond, cet événement s’inscrit dans une forme de logique. Cet activiste est attaqué par des États depuis longtemps, il m’avait même déjà saisi il y a quelques années. Son opposition avec le Japon sur la question de la chasse à la baleine est ancienne. Surtout, cela symbolise la criminalisation croissante du militantisme écologiste.

C’est-à-dire ?

M. F. : Dans presque tous les pays, je constate une pression sur les militants. En Europe, la répression policière française des mouvements contestataires ou la sévérité de la justice britannique [cinq militants écologistes ont été condamnés le 18 juillet à quatre et cinq ans de prison pour avoir bloqué le périphérique de Londres] en sont les exemples. À cela s’ajoutent des discours stigmatisants, dans lesquels des personnels politiques parlent de « Khmers verts » ou d’« éco-terroristes ». Il ne faut pas sous-estimer la force de cette parole publique hostile aux militants environnementaux qui crée un climat de défiance.

Une notice rouge d’Interpol est à l’origine de l’arrestation. Est-ce une pratique nouvelle vis-à-vis d’un militant pour l’environnement ?

M. F. : Ce n’est pas forcément courant pour traquer des activistes écologistes mais ces notices d’Interpol sont utilisées pour cibler d’autres types de militants. Il existe une commission propre à Interpol pour vérifier que les procédures ne soient pas détournées, mais les États peuvent malgré tout recourir à ces mandats d’arrêts internationaux dans cet objectif. Souvent, et c’est semble-t-il le cas ici, l’argument mobilisé est celui des dommages causés à des biens ou à des personnes. Cela légitime alors l’émission d’une notice rouge.

Dans un rapport publié en février 2024, vous rappelez que la désobéissance civile est protégée par le droit international et vous dénoncez une forme de contestation par les États de ce mode d’action publique.

M. F. : La désobéissance civile consiste, certes, en une transgression de la loi, mais je retiens dans ce rapport quatre critères qui la rende acceptable. Si c’est une infraction à la loi délibérée, concernant une question d’intérêt public, menée publiquement, et sans recours à la violence contre les personnes, alors il s’agit d’une manifestation pacifique de la liberté d’expression. C’est protégé par le droit international des droits humains.

Si la limitation de la liberté d’expression est courante dans les pays autoritaires, elle ne l’était pas dans les démocraties. En Europe pourtant, ce concept est particulièrement remis en cause par les autorités. Plutôt que d’entendre les messages qui sont portés dans les revendications, les États préfèrent réprimer. Ils ne veulent pas entendre ce qui se joue alors qu’il y a urgence à agir pour l’environnement.

Comment expliquer que l’activisme pour le climat soit à ce point ciblé ?

M. F. : D’abord, on a vu lors des manifestations du monde agricole l’hiver dernier que le problème n’était pas la méthode. Certains manifestants ont agi comme le font des militants écologistes, avec des actions coup de poing parfois virulentes. Aucun responsable politique ne les a pourtant qualifiés « d’agro-terroristes ». Il y a donc bien un ciblage particulier des questions environnementales.

Je crois que la désobéissance civile a fait la preuve par le passé de son efficacité. C’est un moyen de lutte et d’expression qui obtient des résultats. C’est peut-être ce que craignent les États. Mais il faut garder espoir. Je me réjouis de voir par exemple au Royaume-Uni ces derniers jours, des personnalités prendre la parole pour demander de revenir sur les mesures liberticides prises par le gouvernement précédent, comme le Public order act qui criminalise certaines manifestations. Une partie de l’opinion demeure attentive à ces sujets.