1La perception du jugement d’autrui à notre égard constitue (au moins pour certains) une des préoccupations qui peuvent régir et influencer notre vie sociale. Ronald Laing, Herbert Philipson, et Russell Lee (1966) conceptualisent ce phénomène grâce au terme de métaperception. Ce concept fait référence à l’ensemble des croyances que l’individu construit lorsqu’il se représente les perceptions d’autrui le concernant (Oltmanns & Turkheimer, 2009). Ces croyances possèdent une importance certaine, car l’individu les mobilise pour interagir avec des tiers (Cameron & Vorauer, 2008). Pour Xiaoxiao Hu, Seth Kaplan, Feng Wei et Ronald Vega (2014), les individus construisent d’autant plus de croyances sur les perceptions d’autrui à leur égard lorsque leurs interactions avec eux sont répétées.
2L’étude des métaperceptions dans les contextes où les interactions entre individus sont courantes et récurrentes, tel qu’à l’école, constitue alors un objet de recherche attrayant. Dans les milieux scolaires, les élèves occupent une position privilégiée pour développer ce type de croyances. En outre, on sait que l’individu est davantage motivé à élaborer des métaperceptions lorsqu’il est en attente du jugement d’un tiers significatif (Kaplan, Santuzzi & Ruscher, 2009) et que leurs statuts sociaux sont différenciés (Snodgrass, 1985,1992). Nous pouvons penser que les élèves occupent une position subordonnée dans l’institution scolaire qui les soumet au jugement de l’enseignant : les élèves font ainsi partie d’un public plus enclin à élaborer des métaperceptions. Qui plus est, la littérature montre aussi que les individus développent des métaperceptions lorsqu’ils imaginent faire l’objet d’une stigmatisation (Frey & Tropp, 2006). Dans le domaine de l’éducation, les élèves des lycées professionnels semblent particulièrement soumis à des phénomènes de stigmatisation (Kergoat & al., 2016) notamment de la part des personnels encadrants (Vienne, 2004). Ces travaux suggèrent que les élèves, dès lors qu’ils sont stigmatisés, seraient un public particulièrement enclin à développer des métaperceptions relatives aux perceptions des enseignants.
3Les recherches sur les métaperceptions des jeunes sont singulières et traitent principalement de la perception des pairs : les résultats indiquent que les métaperceptions des jeunes sont d’autant plus précises lorsqu’elles concernent les perceptions d’un pair appartenant au même genre (Bellmore & Cillessen, 2003), lorsque l’élève est plus âgé et lorsque ce dernier possède des capacités académiques reconnues par l’enseignant et les pairs (Malloy, Albright & Scarpati, 2007).
4De fait, la caractérisation des métaperceptions des élèves concernant la perception de leur enseignant semble prometteuse : ces recherches permettraient de mieux appréhender les conduites que les élèves mettent en œuvre suite à leur métaperception du jugement de l’enseignant. Les apports des recherches suivantes confirment l’intérêt d’étudier un tel aspect : Thomas Malloy et Claire Janowski (1992), Erika Carlson, Simine Vazire et Michael Furr (2011) soulignent que les métaperceptions jouent un rôle de régulation dans les interactions sociales entre individus. Jessica Cameron et Jacquie Vorauer (2008) complètent ce propos en expliquant que les métaperceptions influencent les interactions entre personnes en augmentant ou diminuant leur fréquence ou les stoppant. Dans le champ scolaire, les apports de David Whitebread (2002) indiquent que la prise en considération des métaperceptions par l’enseignant constitue un des éléments déterminants de la prise en charge des conduites défensives des élèves (comportementales, motivationnelles ou liées à la réalisation d’activités). Le sondage des métaperceptions pourrait être un indicateur intéressant pour stimuler une discussion sur les adoptions ou non, par les élèves, de comportements ou de canaux relationnels conformes avec les interprétations qu’ils ont des perceptions enseignantes à leur propos. En sus, nous pensons que l’étude des métaperceptions permettrait d’apprécier certains déterminants de la transmission des jugements de l’enseignant. Pour illustrer ce propos, nous nous appuyons sur les apports du travail de Stephanie Madon et coll. (2001) : ces auteurs soulignent que l’influence du jugement de l’enseignant sur les élèves dépend des informations dont ces derniers disposent. La caractérisation des métaperceptions permettrait d’apprécier l’influence de la nature et de la quantité d’informations sur la perception du jugement de l’enseignant, et in fine, sur sa potentielle influence sur le concept de soi des élèves.
5Les recherches sur les métaperceptions traitent d’aspects tels que la précision des métaperceptions et les informations mobilisées dans leur élaboration.
6Anthony Turner et Kira Schabram (2012) soulignent que la précision des métaperceptions (ou « meta-accuracy », Kenny & Depaulo, 1993) représente le degré de correspondance entre les métaperceptions d’un individu et les perceptions et évaluations d’autrui. La littérature souligne que les individus éprouvent des difficultés à imaginer la manière dont un tiers décrit leur personnalité (Levesque, 1997). La précision des métaperceptions est limitée (Carlson & Kenny, 2012 ; Elfenbein, Eisenkraft & Ding, 2009) par le fait que : peu d’informations pourraient être disponibles dans l’environnement (Blumberg, 1972), celles-ci pourraient ne pas être systématiquement valides (Elfenbein et coll., 2009) et, les individus pourraient ne pas parvenir à les valoriser correctement (Albright & Malloy, 1999). D’autre part, l’imprécision des métaperceptions provient du fait que l’individu imagine que son point de vue est partagé par les tiers (Kenny & DePaulo (1993).
7Carlson et coll. (2011) expliquent que le différentiel perceptif entre l’individu et les tiers découle des informations que l’individu mobilise pour élaborer ses métaperceptions. Les individus peuvent mobiliser plusieurs sources d’informations distinctes lorsqu’ils élaborent leurs métaperceptions. La littérature distingue deux types d’informations qui sont la perception de soi de l’individu (c’est-à-dire d’informations qui relèvent du concept de soi, du sentiment d’auto-efficacité) ; les indices disponibles qui ne relèvent pas de la perception de soi de l’individu et qui sont prélevés dans l’environnement de l’individu.
8Ces sources d’informations renvoient à un ensemble d’informations que l’individu mobilise pour élaborer ces métaperceptions. Lorsque la perception de soi est utilisée comme source d’information, l’individu élabore ses métaperceptions grâce aux traits qu’il s’auto-attribue (théories sur soi) ou à sa propre représentation de son comportement (jugements sur soi) (Kenny & DePaulo, 1993). À l’inverse lorsque l’individu mobilise des indices qui ne relèvent pas de la perception de soi, les informations utilisées dans l’élaboration des métaperceptions sont issues des retours des tiers (Kaplan, Santuzzi & Ruscher, 2009), des observations du comportement du tiers et de leur propre comportement (Malloy & Albright, 1990), ou des inférences que l’individu développe vis-à-vis des représentations du tiers. Les inférences que l’individu conçoit vis-à-vis des représentations du tiers concernent notamment les stéréotypes que le tiers développerait à son égard (Vorauer, Main & O’connell, 1998).
9En outre, les travaux montrent que l’individu peut mobiliser sa perception de lui-même ou des indices disponibles dans l’environnement pour élaborer ses métaperceptions. Les individus disposent d’informations dont les origines sont variées pour élaborer leurs métaperceptions : cependant ces recherches ne soulignent pas que l’individu se sert de ce qu’il imagine que le tiers croie à son égard pour élaborer leurs métaperceptions. Dit autrement si la littérature admet que les stéréotypes (c’est-à-dire des connaissances partagées par les tiers appartenant à un même endogroupe) constituent un critère qui concourt à l’élaboration des métaperceptions, il semble qu’aucune des recherches citées ne formalise le fait que les croyances du tiers (c’est-à-dire les représentations stables et durables individuelles) constituent une information mobilisée dans l’élaboration des métaperceptions. Notre recherche propose d’explorer cette piste en caractérisant les métaperceptions d’élèves lorsqu’elles s’appuient sur les perceptions de l’enseignant.
10Dans les recherches classiques, les métaperceptions sont étudiées au regard de dimensions particulières choisies par les chercheurs en ce qu’elles sont relevées grâce à des questionnaires que ceux-ci ont constitués. Ces dimensions traitent d’aspects variés chez l’individu (la description de la personnalité, de l’affect, etc.). Les recherches qui explorent la métaperception des jeunes et des élèves mobilisent des dimensions telles que les perceptions de la popularité (Lafontana & Cillessen, 1999 ; Bellmore & Cillessen, 2003), du bien-être, des aptitudes physiques, des capacités cognitives, du statut social et de l’attractivité (Malloy & al., 2007). Dans ces recherches, les élèves sont invités à exprimer leurs métaperceptions en s’autocatégorisant (Lafontana & Cillessen, 1999) ou en s’attribuant des traits (Malloy & al., 2007).
11Cette voie est problématique. En se basant sur la définition selon laquelle la métaperception est une interprétation de la perception d’un tiers, on n’est pas certain que les critères choisis par les chercheurs correspondent à ceux qu’auraient choisis le tiers pour développer sa perception, voire même ceux sur lesquels l’individu élabore sa métaperception. Modestement, nous estimons que l’étude des métaperceptions d’élèves doit s’appuyer sur des dimensions plus adéquates et donc basées sur les perceptions enseignantes. Pour illustrer cette remarque, nous prenons l’exemple de la méthode que Manfred Hofer (1981) utilise pour appréhender les catégories d’élèves que les enseignants développent. Le principe de cette méthode est de demander aux enseignants de juger, grâce à une échelle Likert, la qualité de chaque élève en regard d’une série de variables, variables choisies par Manfred Hofer. Les matrices de jugements sont alors soumises à des analyses en clusters qui permettent de rassembler en ensembles hétérogènes les élèves obtenant des jugements homogènes. Cette méthode a été critiquée pour de multiples raisons (Wanlin, Aliprandi, Mossaz & Revilloud, 2016). La critique de Gerhard Friedrich (1979, dans Wanlin & al., 2016) illustre parfaitement notre remarque. Ce chercheur constate que les enseignants critiquent certains critères qu’ils estiment ne pas utiliser pour percevoir leurs élèves et soulignent l’absence de critères qu’ils préfèrent utiliser. Plus encore, il montre que certaines oppositions prévues dans ce type de questionnaire (par exemple intelligent vs bête) ne correspondent pas à celles que se représentent les enseignants (pour eux, le contraire d’intelligent étant plutôt, « a besoin de plus de suivi/aide »). Bref, il apparait que les critères mobilisés dans ce type de test peuvent ne pas retranscrire avec finesse les perceptions que les enseignants développent à l’égard des élèves. Ce fait constitue, selon nous, une limite qui doit être dépassée par une approche plus représentative des perceptions que les enseignants développent à l’égard de leurs élèves.
12Si on veut correspondre au mieux aux caractéristiques qui servent aux enseignants pour catégoriser les élèves en vue de sonder les métaperceptions de ces derniers, la meilleure source est, selon nous et en accord avec les détracteurs de l’approche par questionnaires, l’enseignant. Dans la littérature, il existe quelques méthodes pour relever les perceptions des enseignants concernant les élèves, perceptions souvent organisées en termes de catégories (voir Laflotte, dans ce numéro). Cette littérature montre que l’organisation de connaissances des enseignants sur les élèves adopte une sorte de continuum opposant les conceptions générales ou abstraites aux connaissances plus pragmatiques ou concrètes dans lequel apparaissent des catégories d’élèves (Wanlin & Laflotte, 2017 ; Rahman, Scaife, Yahya & Jalil, 2010). Ces catégories font référence à différentes dimensions pour la description des catégories d’élèves : ces dimensions peuvent traiter d’aspects tels que le genre, l’âge, l’origine sociale, les relations élève-enseignant (Rahman & al., 2010), la personnalité, l’investissement dans la formation, les relations entretenues avec les pairs (Morine-Dershimer, 1978), le métier d’élève, ou l’avenir de l’élève (Veyrac & Blanc, 2014). En outre, les dimensions abordées pour la catégorisation des élèves par les enseignants évoluent au cours de l’année scolaire. Dans l’étude que propose Greta Morine-Dershimer (1978), les enseignants s’attachent à catégoriser leurs élèves en prenant en compte leur personnalité puis leur participation, pour évoluer en fin d’année sur des dimensions concernant leur progression et les relations entre pairs. Laflotte, Mossaz, Aliprandi et Wanlin (2017) mettent en valeur différents processus liés à la catégorisation enseignante. Ces auteurs mobilisent entre autres les apports de Rosch et Lloyd (1978) et de Medin et Schaffer (1978), et soulignent que l’individu classe les objets dans les catégories qu’il conçoit en fonction de leur degré de similarité avec un prototype abstrait ou avec un exemplaire (c’est-à-dire d’objets dont les traits et caractéristiques sont déjà définis). L’objet à catégoriser peut être distinct du prototype ou de l’exemplaire sur certains aspects, mais être malgré tout intégré dans la même catégorie. On comprend alors que les enseignants peuvent être amenés à catégoriser leurs élèves en les comparant à un prototype ou à un élève singulier.
13L’étude des métaperceptions des élèves doit faire référence à des dimensions spécifiques ou, autrement dit, être proximale à la relation enseignant-élève. Les dimensions qui cadrent l’étude de métaperceptions d’élèves devraient se référer aux catégories et critères de catégorisation des enseignants. Ces dimensions ne correspondent pas uniquement à celles abordées dans l’analyse de la métaperception entre pairs telle que nous les retrouvons dans la littérature classique sur les métaperceptions. La littérature souligne que les enseignants structurent, au moins partiellement, leur perception des élèves en catégories. Or, les élèves sont capables d’exprimer leurs métaperceptions en utilisant la catégorisation et l’attribution de traits (Lafontana & Cillessen, 1999 ; Malloy & al., 2007). L’étude des métaperceptions relatives à la catégorisation de l’enseignant est possible même si une attention particulière doit être portée sur la manière dont les élèves s’identifient aux catégories de l’enseignant. Enfin, les catégories enseignantes évoluant au cours de l’année, la comparaison entre la catégorisation de l’enseignant et les métaperceptions des élèves doit être réalisée sur un intervalle de temps court. Tous ces éléments doivent être pris en compte pour l’établissement d’un plan expérimental sondant les métaperceptions des élèves : notre recherche est une tentative dans ce sens.
14Plusieurs raisons justifient la mise en place d’une recherche sur les métaperceptions des élèves. Les travaux francophones sur l’étude des métaperceptions d’élèves orientées sur les perceptions de l’enseignant sont inexistants à notre connaissance. Ce type de recherche pourrait permettre de mieux saisir la manière dont le jugement des enseignants est appréhendé par les élèves. En sus, les recherches citées n’identifient pas les croyances de l’enseignant comme une source d’information qui peuvent être mobilisées par l’élève lorsqu’il élabore des métaperceptions : ici l’enjeu de la recherche consiste à vérifier si les élèves sont capables de mobiliser ce type d’informations pour élaborer leurs métaperceptions. Enfin, il apparait que la catégorisation enseignante est un support qui permet de fonder les métaperceptions sur des éléments correspondant à la manière dont les enseignants perçoivent les élèves qui les élaborent. En effet, lors de ses interactions avec l’enseignant, l’élève peut identifier, dans les comportements et les propos de son enseignant, des indices qui peuvent alimenter l’élaboration de ses métaperceptions. Or, la littérature a pu montrer que des traitements différentiels pouvaient être réservés aux élèves en fonction de leur appartenance catégorielle perçue par l’enseignant (Brophy & McCaslin, 1992 ; Nurmi, 2012). De ce fait, hypothèse est posée que la précision des métaperceptions pourrait gagner en exactitude. Ici la recherche propose de poser les premiers jalons concernant une approche méthodologique apte à appréhender les métaperceptions des élèves concernant la catégorisation de l’enseignant.
15Ainsi, nous analysons dans quelle mesure la mise à disposition d’informations relevant de la catégorisation enseignante influence les métaperceptions des élèves.
16Dans ce cadre, deux hypothèses peuvent être posées. Tout d’abord, les métaperceptions des individus étant généralement imprécises, il est possible d’imaginer que les métaperceptions des élèves suivront une tendance analogue, et ce malgré l’information dont ils disposent sur la catégorisation enseignante. À moins que le fait que les élèves élaboreront progressivement leurs métaperceptions en fonction d’informations issues de leur enseignant ne leur permette de les préciser au fur et à mesure. Ensuite, nous imaginons que les croyances et connaissances (au sens de Crahay, Wanlin, Issaieva, & Laduron, 2010) peuvent être mobilisées par les individus pour l’élaboration de leurs métaperceptions au même titre que les stéréotypes. On peut imaginer que l’influence de la prise en compte des croyances d’autrui peut se manifester au niveau de la précision ou du contenu des métaperceptions. La question est d’identifier si la précision des métaperceptions des élèves évolue ou non en fonction des informations disponibles sur la catégorisation enseignante. Même si les recherches suscitées ne font pas référence au contenu des métaperceptions, nous postulons que celui-ci peut changer selon l’information dont l’élève dispose sur la catégorisation de l’enseignant.
17En conclusion, l’objectif de la recherche vise à appréhender le degré de correspondance (précision) entre les métaperceptions des élèves et la catégorisation de l’enseignant au vu des informations dont les élèves disposent sur la catégorisation de l’enseignant.
18Notre échantillon est composé de 216 élèves et 12 enseignants qui évoluent au sein de lycées publics professionnels. Parmi ces élèves 89 sont des filles et 127 sont des garçons. Ces élèves poursuivent un cursus professionnalisant en seconde (n =92), première (n =20) ou terminale (n =104). L’âge moyen des élèves est de 17 ans. Les enseignants participants dispensent des matières techniques (n =8) ou générales (n =8). Sur 216 élèves ayant participé à la recherche, 10 n’ont pas été catégorisés par leurs enseignants, nous les écartons des analyses, vu que nous ne disposons pas de point de comparaison pour établir la précision des métaperceptions telle que nous la définissons ici. Les réponses de 11 élèves étaient incomplètes, nous devons aussi les écarter vu les traitements statistiques que nous employons. Par conséquent, nos résultats portent sur 195 élèves.
19Le protocole de recherche comprend deux phases distinctes : la collecte des catégorisations des enseignants et le recueil des métaperceptions des élèves.
Phase 1 : collecte des catégorisations des enseignants
20Les 12 enseignants ont participé à un entretien semi-directif individuel d’une heure dont l’objectif était de donner à l’enseignant la possibilité d’élaborer des catégories d’élèves, qui lui sont propres et concernent la promotion d’élèves ensuite interrogés. La méthode mise en œuvre s’inspire des travaux de Herbert Thelen (1967) qui proposaient aux enseignants de mentionner autant de catégories d’élèves rencontrées dans leur carrière. Ici nous proposons de restreindre la « carrière » à leur perception de catégories au sein de leur classe. Notre protocole s’inspire aussi du travail de Lara Laflotte, Angela Mossaz, Marie-Louise Aliprandi et Philippe Wanlin (2017) et intègre une dernière consigne à cette procédure : on a demandé aux enseignants d’associer les élèves de leur classe aux différentes catégories mentionnées. Notre protocole auprès des enseignants se décline donc en trois étapes :
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les enseignants élaborent des catégories d’élèves en se remémorant les différents types d’élèves qu’ils côtoient dans leur classe. Cette catégorisation concerne une promotion donnée (dont les élèves seront ensuite interrogés). Les enseignants doivent proposer une dénomination pour chacune des catégories élaborées (par exemple : les « bons élèves »). Aucune restriction n’est imposée aux enseignants en matière de nombre ou de dénomination des catégories ;
-
les enseignants décrivent les catégories grâce à trois ou quatre caractéristiques saillantes (par exemple : la catégorie des « bons élèves » est décrite par les traits saillants « travailleurs », « performants » et « installés au premier rang » et la catégorie des élèves « perturbateurs » est décrite par exemple par les termes « feignants », « ont de mauvaises notes » et « bruyants ») ;
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les enseignants classent chacun des élèves de la promotion concernée dans les catégories qu’ils ont conçues (par exemple : l’élève Jean fait partie des « bons élèves », l’élève Paul appartient à la catégorie des « perturbateurs »). Aucune restriction n’est imposée aux enseignants en matière de catégorisation des élèves : les élèves peuvent être catégorisés ou non, et être catégorisés dans un ou plusieurs groupes.
21Les données obtenues auprès des enseignants sont reprises sans modification pour rédiger les questionnaires qui seront remplis par les élèves. Les données remobilisées dans le questionnaire des élèves sont les dénominations des catégories (« bons élèves », « perturbateurs ») ou des traits qui les décrivent (« travailleurs », « performants », « bien habillés » « feignants », « ont de mauvaises notes » et « bruyants »). Par exemple, un enseignant a proposé les catégories suivantes associées à des traits saillants (tableau 1).
Tableau 1 - Exemple de la catégorisation de l’enseignant X
Catégories
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Traits saillants
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Prénoms des élèves
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Bons élèves
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« travailleurs », « performants » « installés au premier rang »
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Jean, Gontran…
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Perturbateurs
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« feignants », « ont de mauvaises notes » « bruyants »
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Paul, Gwendoline, Philippe…
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Élèves moteurs
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« dynamiques », « motivés » « trop présents à l’oral »
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Gontran, Edouard…
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Phase 2 : collecte des métaperceptions des élèves
22Les élèves ont complété un questionnaire durant la semaine où leur enseignant a été interrogé. Le questionnaire correspond aux douze catégorisations des enseignants réparties en fonction de l’appartenance des élèves à leur classe. In fine, chaque élève complète un questionnaire propre a sa promotion qui s’inspire des éléments obtenus auprès de l’enseignant.
23Du point de vue de la forme, le questionnaire mentionne le nom de l’enseignant, la matière enseignée ainsi que le fait que l’enseignant ait catégorisé les élèves. La répartition des élèves dans les différentes catégories par l’enseignant, l’appartenance catégorielle de l’élève ou des élèves, n’était pas indiquée afin de ne pas biaiser les résultats. Le questionnaire proposait aux élèves de pronostiquer la catégorisation dont ils faisaient l’objet selon trois modalités. Ces modalités se distinguaient en fonction des informations relatives à la catégorisation enseignante dont les élèves ont disposé. Le choix des informations présentées à chaque modalité répond aux impératifs suivants : les informations présentées doivent permettre d’obtenir un positionnement métaperceptifs et mobiliser des aspects liés à la catégorisation de l’enseignant cible. Le tableau 2 précise quelles informations étaient mises à disposition.
Tableau 2 - Descriptif des modalités expérimentales rattachées au questionnaire rempli par les élèves
Modalités
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Liste des traits caractérisant les catégories
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Dénomination des catégories
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Degré de renseignement des élèves
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Modalité n° 1
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randomisés
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Profane
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Modalité n° 2
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randomisés
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à disposition
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Niveau 1
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Modalité n° 3
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associés aux catégories
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à disposition
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Niveau 2
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24Pour la modalité n° 1, les traits saillants, donnés par l’enseignant, décrivant les catégories (deuxième colonne du tableau 1) sont randomisés et les élèves doivent se positionner selon leur pronostic de l’avis de leur enseignant. Pour chaque trait, ils se positionnent grâce à une échelle de type Likert à cinq modalités. La consigne précise est la suivante : « Ton enseignant a donné une liste de traits qui décrivent les élèves selon lui. Voici la liste de traits qu’il a proposée. Si la note 1 veut dire que le trait ne te correspond pas du tout et la note 5 qu’il te correspond parfaitement, à ton avis quelle note sur 5 ton enseignant t’attribue-t-il pour chaque trait ? ».
25Pour la modalité n° 2, les dénominations des catégories et la liste randomisée, des traits saillants donnés par l’enseignant sont présentés aux élèves. Les traits saillants ne sont pas associés à la catégorie à laquelle ils correspondent et sont triés aléatoirement. Dans un premier temps, les élèves associent les traits saillants aux catégories comme ils pensent que leur enseignant l’a fait. Ensuite, ils doivent se positionner selon l’avis de leur enseignant pour chaque catégorie grâce à une échelle de type Likert à cinq modalités. La consigne précise est organisée en deux parties : « Ton enseignant pense qu’il y a plusieurs groupes d’élèves dans ta classe, voici le nom de ces groupes. À ton avis, quels traits ton enseignant a associés à chaque groupe ? ». Les élèves obtenaient ensuite la deuxième partie de la consigne : « Maintenant que tu as associé les différents traits aux noms des groupes d’élèves de ta classe, à ton avis quelle note sur 5 ton enseignant te donnerait-il pour chaque groupe, avec 1 tu n’y corresponds pas du tout et 5 tu y corresponds parfaitement ? ».
26Pour la modalité n° 3, les catégories sont présentées avec leurs noms et les traits saillants qui les décrivent selon l’enseignant. Les élèves doivent se positionner selon l’avis de leur enseignant pour chaque catégorie sur une échelle de correspondance de 1 à 5. La consigne est la suivante : « Voici maintenant la liste des groupes qu’a donnée ton enseignant avec les traits qui les décrivent selon lui. À ton avis, quelle note sur 5 te donnerait ton enseignant pour chaque groupe maintenant que tu connais leur description ? À nouveau, plus ta note est proche de 5 plus tu y corresponds. »
27Pour l’ensemble de ces modalités, le traitement des réponses des élèves permet d’appréhender le ou les positionnements métaperceptifs des élèves. Les positionnements métaperceptifs correspondent aux catégories dans lesquelles l’élève imagine que son enseignant l’a positionné. Notre recherche distingue trois types de positionnements métaperceptifs.
Un positionnement métaperceptif profane
28est obtenu lors de la modalité n° 1. Il est caractérisé de profane, car l’élève n’avait pas accès directement aux catégories de l’enseignant. Il relève les scores que les élèves attribuent aux traits. Pour l’analyse, nous regroupons les traits selon les catégories décrites par l’enseignant. Nous comparons les sommes des scores des traits (attribués par les élèves) de chaque catégorie. Le positionnement métaperceptif profane de l’élève correspond à la catégorie avec le score le plus élevé. À titre d’exemple, Jean dispose de la liste de traits énoncés par son enseignant de français rangés aléatoirement. Il s’attribue un score à chaque trait : « travailleurs » = 5, « feignants » = 1, « dynamiques » = 1, « performants » = 4, « installés au premier rang » = 1, « motivés » = 1 « ont de mauvaises notes » = 1, « bruyants » = 1, « trop présents à l’oral » = 1. Ainsi, nous attribuons à la catégorie « les bons élèves » le score correspondant à l’addition de ses positionnements aux traits « travailleurs » = 5, « performants » = 4 et « installés au premier rang » = 1 soit un score total de 10. De la même façon, nous lui attribuons le score de 3 à la catégorie « perturbateurs » et de 3 à la catégorie des « élèves moteurs ». Pour la modalité n° 1, le positionnement métaperceptif profane de Jean correspond à la catégorie « les bons élèves ». Pour qualifier la précision, nous vérifions si perception (représentée par la catégorie attribuée par l’enseignant) et métaperceptions convergent. S’il y a concordance, il y a précision ; sinon, le code d’imprécision est retenu. Dans notre exemple, l’enseignant de français ayant effectivement associé Jean à ce groupe, le positionnement métaperceptif profane de Jean a été qualifié de précis.
Les positionnements métaperceptifs
29qui correspondent aux modalités n° 2 et n° 3 sont considérés comme éclairés en ce que les élèves étaient renseignés, pour la modalité 2 des étiquettes de catégories mentionnées par les enseignants et, pour la modalité 3, de l’association des traits et étiquettes catégorielles. Ici, leurs positionnements métaperceptifs s’obtiennent en retenant la catégorie pour laquelle l’élève s’attribue le score le plus élevé. À titre d’exemple, Jean dispose de la liste des traits randomisés et des dénominations des catégories. Il pense que son enseignant associe les traits aux catégories de la manière suivante : les « bons élèves » sont « travailleurs », « performants » et « trop présents à l’oral ». Les « perturbateurs » sont « feignants », « ont de mauvaises notes », « bruyants ». Les « élèves moteurs » sont « dynamiques », « installés au premier rang » et « motivés ». Jean attribue ensuite un score qui représente la manière dont il imagine être catégorisé par l’enseignant de français : « bons élèves » = 5, « perturbateurs » = 1 « élèves moteurs » = 2. Pour la modalité n° 2, Jean présente comme positionnement métaperceptif éclairé la catégorie « les bons élèves ». Lorsque l’on compare ce positionnement métaperceptif à la catégorisation réalisée au préalable par l’enseignant de français, on code que Jean détermine avec précision la catégorisation dont il fait l’objet. Pour la modalité n° 3, l’accès aux catégories décrites par l’enseignant permet de sonder un positionnement métaperceptif éclairé de niveau 2, les élèves ayant toutes les informations. L’élève dispose des catégories telles qu’elles sont décrites par l’enseignant, donc avec les bons descripteurs. Ce positionnement métaperceptif est précis s’il correspond à la catégorisation de l’enseignant. À titre d’exemple, Jean dispose des catégories telles qu’elles ont été conçues et décrites par son enseignant. En somme, il dispose du tableau 1 sans la dernière colonne. Jean s’attribue un score à chaque catégorie pour illustrer sa métaperception de sa catégorisation par l’enseignant de français. Il leur attribue les scores suivant : les « bons élèves » = 4, les « perturbateurs » = 1 et les « élèves moteurs » = 2. Pour la modalité n° 3, Jean présente comme positionnement métaperceptif éclairé la catégorie « les bons élèves » : ce positionnement métaperceptif est exact vis-à-vis de la catégorisation dont il fait l’objet de la part de l’enseignant de français.
30Pour chaque élève, nous analysons la variation de la précision de ses métaperceptions et de son positionnement métaperceptif entre les trois modalités. Exprimé autrement, nous examinons si la précision des métaperceptions (convergence avec les perceptions des enseignants) et la variation des positionnements metaperceptifs, évoluent à mesure que le degré de renseignement des élèves sur les catégorisations des enseignants augmente. Cette analyse vise donc à caractériser l’influence de la mise à disposition progressive des informations rattachées à la catégorisation de l’enseignant sur les métaperceptions des élèves.
31La première analyse étudie la convergence entre les métaperceptions des élèves et la catégorisation de l’enseignant sur l’ensemble des modalités expérimentales. Pour ce faire, nous analysons la variation des proportions d’élèves qui proposent des métaperceptions exactes et inexactes sur les trois modalités.
32Deux sortes d’analyses statistiques sont réalisées. Une première valide le caractère significatif de la variation des proportions d’élèves entre les modalités expérimentales. Cette analyse comprend un test statistique de Cochran (qui caractérise l’influence d’une variable sur l’ensemble des modalités) et trois tests de McNemar post hoc (qui caractérisent l’influence propre à chaque modalité). Les tests de McNemar et de Cochran apparient des séries de variables binaires et comparent la variation des populations entre deux ou X modalités. Le test de McNemar apparie les réponses des élèves sur deux modalités. Le test de Cochran apparie les réponses des élèves sur plus de deux modalités. Rapportés à nos intérêts de recherche, ces tests répondent à la question suivante : dans quelle mesure les proportions d’élèves qui proposent des métaperceptions précises ou imprécises varient-elles entre les modalités expérimentales ? Pour ces tests, les variables dépendantes sont dichotomiques : la métaperception de l’élève est précise ou imprécise pour chaque modalité. Pour rappel, la précision des métaperceptions des élèves est déterminée comme suit : catégorie proposée par l’élève = catégorisation de l’enseignant ; métaperception précise codée 1 ; catégorie proposée par l’élève ≠ catégorisation de l’enseignant ; métaperception imprécise codée 0
33Dans la recherche, le test de Cochran détermine si le nombre d’élèves proposant des métaperceptions précises et imprécises varie entre les modalités n° 1, 2 et 3. Le test Q de Cochran, examine l’hypothèse nulle suivante : « la proportion d’élèves proposant des métaperceptions précises ou imprécises ne varie pas significativement entre les trois modalités ». Si le test de Cochran ne valide pas l’hypothèse nulle, des tests de Mc Nemar complètent l’analyse. Les tests de McNemar déterminent si le nombre d’élèves proposant des métaperceptions précises et imprécises varie entre les modalités n° 1 et 2, n° 1 et 3, et n° 2 et 3. Les tests de McNemar examinent les trois hypothèses nulles suivantes :
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hypothèse nulle 1 : « la proportion d’élèves proposant des métaperceptions précises ou imprécises ne varie pas suite à la présentation des dénominations des catégories ». Ici, on analyse la variation des proportions d’élèves qui proposent des métaperceptions précises ou imprécises entre les modalités n° 1 et 2 (c’est-à-dire suite à la présentation des dénominations des catégories) ;
-
hypothèse nulle 2 : « la proportion d’élèves proposant des métaperceptions précises ou imprécises ne varie pas suite à la présentation des catégories telles qu’elles ont été conçues par l’enseignant » ;
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hypothèse nulle 3 : « la proportion d’élèves proposant des métaperceptions précises ou imprécises ne varie pas suite à la présentation conjointe des dénominations des catégories et de la présentation des catégories telles qu’elles ont été conçues par l’enseignant ».
34Une seconde analyse statistique mobilise un test V de Cramer. En effet, les statistiques de Cochran et McNemar étant des variantes du test de Chi2, comme ce dernier, elles montrent un lien, mais ne permettent pas de quantifier sa puissance (Howell, 1998). Le test de Cramer caractérise l’intensité de l’influence d’une variable catégorielle sur l’autre, ici la force de l’effet de la mise à disposition d’information sur la précision des métaperceptions. Cette analyse répond à la question suivante : « quelle est l’intensité de la relation qui lie la mise à disposition d’information à la précision des métaperceptions des élèves ? » Ce test fournit un indicateur qui varie entre 0 et 1. Quand il est proche de 0, l’influence de la mise à disposition d’information sur la précision des métaperceptions est limitée. Inversement, un coefficient proche de 1 indique que l’influence est forte. On admet communément les seuils suivants (Bourque, Blais & Larose, 2009 ; Cohen, 1988) : un coefficient compris entre 0 et 0,3 indique que l’influence de la mise à disposition progressive d’informations sur la précision des métaperceptions des élèves est faible. Un coefficient compris entre 0,3 et 0,5 indique que l’influence est modérée. Inversement, un coefficient supérieur à 0,5 indique que l’influence est forte.
35Grâce à notre plan expérimental, nous analysons aussi les changements des positionnements métaperceptifs des élèves. Cette analyse est différente de celle relative à la précision des métaperceptions en ce qu’elle compare non plus la convergence perception-métaperception, mais les appartenances catégorielles proposées par les élèves d’une modalité à l’autre. Elle caractérise l’influence de la mise à disposition progressive d’informations rattachées à la catégorisation enseignante sur le positionnement métaperceptif catégoriel de l’élève.
36Ici, deux types de tests statistiques sont réalisés. Un premier test statistique a pour objectif de déterminer si le nombre d’élèves qui changent ou stabilisent leur positionnement métaperceptif entre les modalités n° 1 et 2 et les modalités n° 2 et 3 varie significativement. Un second test détermine l’intensité de cette influence dans le cas où elle est avérée.
37Le test de McNemar détermine si la proportion d’élèves qui proposent des positionnements métaperceptifs stables ou changeants varie entre les modalités. Il apparie les positionnements métaperceptifs des élèves entre les modalités prises deux à deux. Ici, le positionnement métaperceptif change lorsque l’élève choisit une catégorie différente d’une modalité à l’autre. Inversement, les positionnements métaperceptifs sont considérés comme stables dès lors que l’élève choisit une catégorie identique entre deux modalités. Le changement ou la stabilité du positionnement métaperceptif de l’élève entre deux modalités (n° 1 et 2 puis n° 2 et 3) renvoie à une variable dépendante dichotomique : le positionnement métaperceptif varie ou non entre les modalités X et Y. Pour rappel, la variation des positionnements métaperceptifs des élèves est déterminée comme suit, que ce soit pour la comparaison modalité 1 vs modalité 2, d’un côté ou, de l’autre, modalité 2 vs modalité 3 : catégorisation élève modalité 1/2 = catégorisation élève modalité 2/3 - positionnement métaperceptif stable - codé 1 ; catégorisation élève modalité 1/2 ≠ catégorisation élève modalité 2/3 - positionnement métaperceptif changeant - codé 0
38Le tableau 3 présente les informations mises à disposition qui peuvent influencer les positionnements métaperceptifs des élèves entre les modalités prises deux à deux.
Tableau 3 - Informations prises en compte dans l’analyse de la variation des positionnements métaperceptifs des élèves
Informations supplémentaires mises à disposition des élèves
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de la modalité n° 1 à la modalité n° 2
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de la modalité n° 2 à la modalité n° 3
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Présentation de la dénomination
des catégories
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Description des catégories
par l’enseignant
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39Le test de McNemar détermine la validité de l’hypothèse nulle suivante : « La proportion d’élèves qui proposent des positionnements métaperceptifs stables ou changeants ne varie pas entre les modalités n° 1/2 et les modalités n° 2/3 ».
40Un test V de Cramer est effectué, si le test de McNemar suggère que la mise à disposition d’informations influence significativement la variation des positionnements métaperceptifs des élèves. Comme précédemment, ce test répond à la question : avec quelle intensité la mise à disposition d’informations rattachées à la catégorisation enseignante influence le choix des positionnements métaperceptifs des élèves ? Les mêmes seuils valent ici.
41L’étude des réponses des élèves nous permet de caractériser la variation entre les trois modalités expérimentales, d’une part, de la précision des métaperceptions des élèves et, d’autre part, de leurs positionnements métaperceptifs.
42La première analyse examine si la mise à disposition d’informations sur la catégorisation de l’enseignant influence la précision des métaperceptions de l’élève. Pour rappel, nous considérons que les métaperceptions des élèves sont précises lorsqu’elles correspondent aux perceptions des enseignants. Le tableau 4 présente les effectifs et pourcentages d’élèves qui élaborent des métaperceptions précises et imprécises pour chaque modalité.
Tableau 4 - Tableau de fréquence de la précision des métaperceptions des élèves sur les trois modalités expérimentales
Modalités
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Métaperceptions inexactes
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Métaperceptions exactes
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Modalité n° 1
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143 (73.3 %)
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52 (26.7 %)
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Modalité n° 2
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129 (66,2 %)
|
66 (33.8 %)
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Modalité n° 3
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130 (66,7 %)
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65 (33,3 %)
|
43Le tableau 4 montre qu’une majorité des élèves élaborent des métaperceptions inexactes de la catégorisation enseignante, et ce, quelle que soit la modalité expérimentale considérée. Le test de Cochran appliqué aux données du tableau 4 indique qu’il n’y a pas de lien entre les modalités et la précision des métaperceptions (Q (2) =5.304 p value =0.079 ; p value > 0.05). On peut estimer que la proportion d’élèves qui proposent des métaperceptions précises et imprécises ne varie pas significativement entre les modalités n° 1, 2 et 3. Ceci signifie que la mise à disposition progressive d’informations rattachées à la catégorisation enseignante n’influence pas significativement la précision des métaperceptions des élèves. L’hypothèse nulle du test de Cochran validée, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’investigation pour déterminer l’influence des informations disponibles dans chaque modalité.
44Cette partie caractérise le changement des positionnements métaperceptifs des élèves en fonction des informations liées à la catégorisation enseignante mises à leur disposition. Exprimé autrement, ce qui nous intéresse ici, ce sont les effets de la mise à disposition progressive d’informations rattachées aux catégorisations enseignantes sur le choix des catégories sélectionnées par les élèves pour illustrer leurs métaperceptions. Le tableau 5 présente les effectifs et pourcentages d’élèves proposant des positionnements métaperceptifs changeants ou stables entre les modalités n° 1/2 et les modalités n° 2/3.
Tableau 5 - Changement des positionnements métaperceptifs des élèves en fonction des informations disponibles sur la catégorisation enseignante
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Changement des positionnements métaperceptifs
n ( %)
|
Stabilité des positionnements métaperceptifs
n ( %)
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Modalité n° 1/Modalité n° 2
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65 (33,4 %)
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130 (66,6 %)
|
Modalité n° 2/Modalité n° 3
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91 (46,7 %)
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104 (53,3 %)
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45Le tableau 5 montre que la majorité des élèves ne change pas ses positionnements métaperceptifs sur les trois modalités.
46Le test de McNemar caractérise l’influence de la mise à disposition des dénominations des catégories et de la description des catégories par l’enseignant sur la variabilité du positionnement métaperceptif des élèves (tableau 6).
Tableau 6 - Variabilité des positionnements métaperceptifs des élèves entre les modalités n° 1/ 2 et les modalités n° 2/3
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Modalité n° 2 / Modalité n° 3
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Modalité n° 1 / Modalité n° 2
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Changeants (n)
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Stables (n)
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Changeants (n)
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69
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20
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Stables (n)
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50
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56
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47Le test de McNemar ne valide pas l’hypothèse nulle (Q (2) =12,014 p < 0.05). Cela signifie que la proportion d’élèves qui proposent des positionnements métaperceptifs stables ou changeants varie suite à la mise à disposition progressive d’informations rattachées aux catégorisations enseignantes. Dit autrement, la présentation des dénominations des catégories et de la description des catégories par l’enseignant influence significativement les positionnements métaperceptifs des élèves.
48Un test V de Cramer prolonge l’analyse de l’influence de la mise à disposition progressive des informations rattachées à la catégorisation enseignante sur les positionnements métaperceptifs des élèves : ici, il s’agit de déterminer si cette influence est faible, moyenne ou forte. Le coefficient obtenu suite à la réalisation du test V de Cramer est égal à 0.31 (p < 0.01). Cette valeur indique que cette influence est avérée, mais moyenne.
49Cette recherche présente des résultats similaires à ceux de travaux significatifs dans le champ de l’analyse des métaperceptions. Nos résultats sont cohérents avec les apports de Levesque (1997) et permettent de soutenir le postulat selon lequel les élèves rencontrent des difficultés à appréhender avec précision les perceptions d’un enseignant en particulier. Aussi, ils montrent que, lorsqu’ils mobilisent des informations qui sont disponibles dans leur environnement, les élèves n’améliorent pas la précision de leurs métaperceptions comme l’observent Hillary Anger Elfenbein et coll. (2009) ainsi que David Kenny et Bella DePaulo (1993). Ces auteurs soutiennent que la faible précision des métaperceptions dyadiques relève en partie du fait que les individus mobilisent de façon erronée les informations que les tiers leur renvoient.
50En outre, nos résultats convergent avec les conclusions de travaux qui traitent des informations mobilisées dans l’élaboration des métaperceptions. Ils complètent les apports des travaux de Seth Kaplan et coll. (2009), Thomas Malloy et Linda Albright (1990) ou Vorauer et coll. (1998). Les perceptions, croyances et connaissances de l’enseignant constituent une des sources d’informations pouvant influencer les métaperceptions des élèves.
51Notre recherche possède indéniablement un caractère exploratoire. Il n’empêche que les perspectives qu’elle ouvre semblent variées et prometteuses. Dans ce sens, la recherche n’illustre pas l’influence de la différence des dimensions à l’origine des catégorisations des élèves ou de leur métaperception. En effet, l’influence les dimensions auxquelles la catégorisation fait référence (par exemple, personnalité, relation entre pairs et avec l’enseignant, capacités académiques, perspectives concernant l’avenir des élèves, etc.) sur les métaperceptions des élèves n’est pas abordée par cette recherche. Les recherches futures pourraient s’intéresser à cet aspect, car il est possible que les liens perceptions-métaperceptions catégorielles basés sur des variables données (notamment la personnalité ou les relations) soient plus précis et stables que ceux fondés sur d’autres variables (par exemple, la performance scolaire, les compétences, etc.). De même, l’effet de l’intervention d’une dimension unique ou de multiples dimensions dans ces liens pourraient affecter leurs précisions et leurs stabilités. Dans ce sens, il serait intéressant de demander aux élèves de catégoriser les élèves de sa classe, de décrire ces catégories et de se placer dans celles-ci. Cette manière pourrait non seulement éclairer le recours à des dimensions catégorielles différentes, mais aussi vérifier la concordance des catégories et leur influence dans la précision et la stabilité des liens perceptions-métaperceptions.
52D’autres recherches pourraient s’intéresser aux autres sources d’informations fondant les métaperceptions, leur précision et leur stabilité. Ainsi, une hypothèse pourrait être que les métaperceptions des élèves concernant les perceptions que les enseignants ont à leur encontre ne soient par essence pas précises. L’impossible précision viendrait du fait que les élèves mobiliseraient d’autres sources d’informations que le concept de soi pour élaborer leurs métaperceptions (par exemple, les enseignants rencontrés durant leur cursus d’élèves, les matières, leurs aptitudes vis-à-vis de tâches, etc.). L’utilisation d’un point de comparaison faisant référence à la perception d’un enseignant en termes de catégories et de traits de personnalité saillants pourrait fausser la convergence, car l’élève utiliserait d’autres points de repère pour s’autojuger. À titre d’exemple, cette voie pourrait révéler que d’autres éléments relatifs aux croyances sur soi des élèves influenceraient la précision des métaperceptions sans être évoqués dans la catégorisation des enseignants. À ce sujet, il est possible de faire mention du concept de sentiment d’auto-efficacité (Bandura, 1997, 2007 ; Joët, Nurra, Bressoux & Pansu, 2007) qui constituerait une autre source d’information mobilisée par l’élève pour élaborer ses métaperceptions. Ces informations pourraient être externes (persuasion de tiers ou observation de tiers) ou internes (autopersuasion et projection vicariante) et limiteraient la précision des métaperceptions.
53Dans une autre perspective, les résultats n’explicitent pas l’origine du différentiel perceptif entre l’élève et l’enseignant contrairement à d’autres travaux sur les métaperceptions. Les travaux de David Kenny et Bella DePaulo (1993) proposent une approche des métaperceptions dont les prochaines recherches sur les métaperceptions des élèves peuvent s’inspirer. Ils suggèrent que l’étude de l’articulation entre les croyances sur soi des élèves (englobant les perceptions de soi et les métaperceptions) et les croyances de l’enseignant constituent une approche qui permet d’appréhender l’origine de ce différentiel perceptif. Cette dernière perspective de recherche est particulièrement intéressante, au regard du travail de Joët, Nurra, Bressoux et Pansu (2007) sur les croyances sur soi des élèves qui suggèrent que le jugement des enseignants affecte la perception des élèves. Nous pensons que les recherches qui traitent de ce que l’on peut nommer comme des « situations métaperceptives » (c’est-à-dire l’articulation entre les croyances sur soi de l’élève et les croyances de l’enseignant sur l’élève) permettent d’approfondir notre compréhension de l’influence que les jugements et les attentes de l’enseignant ont sur les perceptions des élèves. C’est une hypothèse que des chercheurs pourraient mettre à l’épreuve.
54Des voies plus méthodologiques pourraient affiner nos observations : d’une part, on pourrait recourir à un système de codage dépassant la dichotomie pour adopter un système de codage en termes de proximité ou typicité catégorielle ressentie des élèves. D’autre part, ce sont les points de comparaisons qui pourraient être affinés. Ainsi, au lieu de statistiquement analyser l’échantillon dans sa globalité, on pourrait comparer les données en catégorisant les élèves selon la stabilité et la précision de leurs profils. Les comparaisons pourraient contraster les élèves stables dans leur précision, ceux qui sont stables dans leur imprécision et les élèves qui changent leur métaperception soit en positif (imprécis vers précis), soit en négatif (précis vers imprécis). Ces comparaisons pourraient identifier quelle modalité influence la modification des métaperceptions. Dans la même optique, il s’agirait d’analyser comment se comporte la stabilité des métaperceptions des élèves qui ne sont pas catégorisés par leur enseignant (par essence la précision est alors impossible à mesurer). Le contraste entre ces différents groupes serait potentiellement instructif.
55Enfin, on retiendra que cette recherche a sollicité la participation de publics d’élèves et d’enseignants particuliers : ces publics évoluent dans des lycées professionnels qui à l’heure actuelle sont considérés comme un « lointain canton oublié de la géographie scolaire » (Moreau, 2008). La seule recherche que nous proposons n’est pas à même de mettre en valeur les spécificités d’un tel public : une étude comparative entre les métaperceptions d’élèves de différents horizons (lycées professionnels, général et technologique) serait plus à même d’identifier les spécificités propres aux élèves qui évoluent dans ces structures.
56Cette recherche analyse l’influence de la mise à disposition progressive d’informations rattachées aux perceptions de l’enseignant, structurées en catégories, sur les métaperceptions des élèves. Elle postule que les métaperceptions des élèves sont imprécises et que leur précision et contenu en termes de positionnement métaperceptif varient en fonction des informations dont les élèves disposent sur les perceptions de l’enseignant.
57Nous constatons, conformément à notre hypothèse, que les métaperceptions des élèves sont majoritairement imprécises vis-à-vis de la catégorisation dont ils font l’objet pour l’ensemble des modalités expérimentales. Les élèves élaborent des métaperceptions imprécises malgré le type d’information dont ils disposent sur la catégorisation de l’enseignant. Par la suite, l’étude de la convergence des positionnements métaperceptifs des élèves avec la catégorisation de l’enseignant montre que la variation de la précision des élèves ne dépend pas de l’influence conjointe de la présentation des dénominations des catégories et de leur description par l’enseignant. Ici, on comprend que la mise à disposition progressive d’informations sur la catégorisation de l’enseignant n’influence pas significativement la précision des métaperceptions des élèves.
58Ces constats conduisent à s’interroger sur l’influence de la mise à disposition progressive d’informations rattachées à la catégorisation enseignante sur les positionnements métaperceptifs des élèves. L’analyse de la manière dont les élèves changent ou stabilisent leurs positionnements métaperceptifs au cours des modalités expérimentales montre que la proportion d’élèves qui modulent leurs positionnements métaperceptifs varie significativement entre les modalités expérimentales. Les informations disponibles sur la catégorisation enseignante influencent donc les positionnements métaperceptifs proposés par les élèves. Néanmoins, cette influence est modérée.
59En résumé, les résultats mettent en évidence que les élèves peuvent mobiliser des informations qui relèvent des perceptions de l’enseignant, voire de leurs croyances ou connaissances, pour élaborer leurs métaperceptions. La mise à disposition progressive d’informations sur la catégorisation de l’enseignant influence toutefois plus le contenu que la précision des métaperceptions des élèves. Cette influence reste cependant à relativiser : la mise à disposition progressive d’informations sur la catégorisation enseignante ne permet pas aux élèves de mieux cerner la manière dont l’enseignant les perçoit, mais les incite à faire évoluer le contenu de leurs métaperceptions.